Le groupe Kiddam and the people, « Ensemble » contre les amalgames

 Le groupe Kiddam and the people, « Ensemble » contre les amalgames

Kiddam


 


« Ensemble », tel est le titre du premier album du groupe Kiddam and the people. Un premier opus dans lequel Kiddam, rappeur du groupe, débite des vers d'une précision et d'une clairvoyance redoutable. Politique, police, racisme, sont quelques-uns des sujets abordés le long de douze titres sans concessions. Ensemble est sorti vendredi dernier (13 novembre), le même jour que les attentats qui ont touché Paris, prenant du coup une plus grande résonance. Entretien avec Kiddam.


 


LCDL : La pochette de l'album est une femme noire, voilée, en fauteuil roulant, avec un livre à la main. Pourriez-vous nous expliquer ce choix ?


Kiddam : J’ai imaginé le pire prototype humain pour évoluer au sein de la société française actuelle. Initialement le titre de l’album devait être « Addition de handicaps ». En parlant de handicaps sociaux évidemment mais le terme « handicaps » associé à cette photo était souvent mal perçu et compris à l’envers. Pour éviter que l’extrême droite le prenne aussi à l’envers et s’imagine que je suis des leurs, j’ai préféré modifier le titre à la dernière minute pour éviter tout quiproquo et récupérations malsaines. Le titre « Ensemble » efface toutes possibilités de réinterprétation.


Mais dans l’album on peut écouter le morceau qui s’intitule « Addition de handicaps », car avec le texte il n’y a pas d’amalgames possibles. Il est développé qu’il est plus compliqué d’évoluer dans la société quand on est une femme plutôt qu’un homme, quand on est noir plutôt que blanc, quand on est musulman plutôt que chrétien, quand on est voilée plutôt que découverte, quand on est handicapée physique que valide, quand on est séropositif que séronégatif. Cette femme est dans une bibliothèque pour souligner qu’on préfère les moutons suiveurs plutôt que les personnes instruites et engagées.


 


Plusieurs morceaux parlent de l'impunité policière. Vous avez participé à la Marche de la dignité. Selon vous les questions de violences policières, et notamment les bavures, sont-elles sous médiatisées ?


Sous médiatisées est un terme faible ! Ces affaires sont dissimulées au maximum ! Sans les comités de soutien et les associations qui luttent sur ce sujet, on n’en saurait rien. Et les mass médias comme TF1 n’en parlent pas du tout. Ou sinon ils traitent le problème du point de vue des syndicats de police et n’hésitent pas à inviter des responsables politiques qui vont plutôt s’émouvoir des familles de policiers qui ont enduré une procédure judiciaire pendant 10 ans comme dans l’affaire de Zyed et Bouna. Pourtant ce ne sont pas les policiers qui sont décédés. Ils criminalisent des défunts. C’est indécent.


 


Autre sujet récurrent dans l'album, le Front national. La montée de ce parti et de ses idées en France vous fait-elle peur ? Pourquoi ?


C’est un parti de plus en plus puissant avec de plus en plus de militants actifs, il n’y a qu’à voir l’Ile de France recouverte de milliers d’affiches ; c’est impressionnant. D’ailleurs ils ne prennent pas d’amendes bizarrement… Ce qui m’inquiète le plus c’est ce discours qui dit « Pourquoi ne pas essayer, ils n’ont jamais eu le pouvoir, la gauche et la droite se moquent de nous depuis ma naissance ». Ça se tient effectivement, mais les personnes qui disent ça oublient 1940 et la collaboration, c’était bien l’extrême droite et ce sont ces mêmes personnes qui ont fondé le Front national après la seconde guerre mondiale.


Il n’y qu’avoir l’état des villes que le FN dirige. Subventions culturelles coupées, interdictions à tout va, armement renforcé des polices municipales, augmentations des impôts locaux. Sans compter les déclarations racistes dans les médias et les réseaux sociaux, les personnes inscrites sans le savoir sur leurs listes aux élections. Quand les médias leur poseront des questions économiques les gens comprendront à quels charlatans ils ont affaire. Malheureusement on les interroge uniquement sur l’immigration, l’islam, le halal, les cantines.


 


L'album est sorti le 13 Novembre dernier (jour des attentats). Est-ce que ces événements peuvent faire réaliser à la société française l'importance d'être « Ensemble » ?


Triste coïncidence effectivement avec le visuel de l'album. Nous sommes encore plus dans le cœur du sujet. J’espère que la société française va le comprendre comme ça, mais j’en doute. Ça va renforcer les peurs et les amalgames, les attaques de mosquées et les langues vont encore se délier comme après les attentats de janvier 2015. Ressembler à la femme de la pochette de l’album, c’est encaisser des attaques quotidiennes, en regardant la TV, en écoutant la radio, en sortant de chez soi, le regard des gens, les préjugés. Et un seul critère suffit.


Dans un pays qui ne place pas les personnes sur un pied d’égalité, être Noir par exemple, c’est ressentir les choses différemment. C’est pour ça que les grands slogans façon SOS Racisme sont loin des attentes de la population. Ne dites pas à un Noir, un Arabe ou un Asiatique qu’il n’y a qu’une seule couleur dans la République, car chaque jour on lui fait comprendre qu’il n’a pas la couleur dominante.


 


A l'horizon 2017, avec les présidentielles, la réponse de la société française aux attentats sera-t-elle déterminante pour le choix du (ou de la) futur président de la République ?


La société française ne peut apporter aucune réponse aux attentats. Elle subit et va modifier son quotidien et ses habitudes dans un premier temps. Elle va être méfiante. Les réponses vont être données par le pouvoir en place. Et on se dirige vers une solution militaire apparemment.


Par effet de boomerang, les violences terroristes en France ne vont pas s’arrêter maintenant. Je ne pense pas que ça puisse influencer l’élection présidentielle. C’est déjà joué d’avance. Le vainqueur sera celui qui sera face à Le Pen au second tour.


 


Propos recueillis par F. Duhamel