« La langue arabe doit être chez elle en France aussi, c’est l’une de ses maisons »

 « La langue arabe doit être chez elle en France aussi, c’est l’une de ses maisons »

Jack Lang


Du 12 au 18 décembre, l’Institut du Monde Arabe (IMA) fête la langue arabe autour de tables rondes, de séminaires, de rencontres et d’événements festifs. A cette occasion, Jack Lang, ancien ministre et président de l’IMA nous a accordés une interview. Il y parle de la langue arabe, du parti socialiste, des candidats à la primaire et de la lutte contre les extrêmes.


Cinquième langue parlée au monde et sixième langue officielle des Nations unies, l’Arabe est à l’honneur du 12 au 18 décembre à l’IMA pour la seconde fois, comment est née cette idée ?


L’idée a été d’organiser un événement qui célèbre la langue arabe. Les mots choisis, "langue arabe, langue du monde" sont excellents. Ca met l’accent sur l’arabe comme langue universelle qui devrait jouir d’un statut moral, intellectuel et politique très élevé. Il s’agit d’une des grandes langues de civilisation. A cette occasion, nous organisons un séminaire qui traitera de sujets importants, comme la méthode d’enseignement de la langue, qui confrontera différents systèmes pour essayer d’améliorer son enseignement avec des spécialistes, des experts. Sans oublier un aspect plus festif avec des concerts notamment.


C’est important de fêter la langue mais ça n’aurait pas de sens s’il n’y avait pas un travail permanent, quotidien, réalisé par des équipes au dévouement incroyable et à la compétence reconnue. Nadia Yafi, directrice de notre centre de langues et instigatrice de cette fête de la langue arabe effectue un travail remarquable.


La langue arabe a-t-elle la place qu’elle mérite dans nos écoles ?


Depuis deux ou trois ans oui. Mais après avoir créé une belle dynamique dans l’enseignement de l’arabe entre 2000 et 2002 lorsque j’étais ministre, les suivants ont laissé les choses se déliter. C’est absurde. Le lien avec le monde arabe est une ancienne tradition française, quand François 1er a créé le collège de France, il a décidé que l’arabe serait une des trois grandes langues d’enseignement avec le grec et l’hébreu. La langue arabe doit être chez elle en France aussi, c’est l’une de ses maisons. On doit tout faire pour la faire découvrir, aimer ou pratiquer.


Beaucoup font malheureusement le lien entre islam et terrorisme, voire même entre langue arabe et islamisme, râlant, pour certains, de voir la langue arabe enseignée dans l’école de leurs enfants. Qu’en pensez-vous ?


Il faut récuser les amalgames. A l’école, la culture arabe doit être mieux connue, mieux enseignée. La langue arabe doit occuper une grande place dès l’école primaire. J’avais créé des cours d’arabe de très grande qualité dès le CP. Si la puissance publique ne s’engage pas, ce sont les officines privées ou les religieux, contre qui je n’ai rien, qui vont s’en charger. Or, il faut que la langue arabe soit traitée dans toute sa dignité comme les autres. 


Vous qui êtes un socialiste de longue date, que pensez-vous de ce qui se passe au PS ? Hollande qui se retire pour laisser la place à Valls, les candidatures pour la primaire qui se multiplient, n’êtes vous pas inquiet ?


Je suis lucide et je crois qu’il ne faut pas désespérer. Selon toute vraisemblance, Manuel Valls devrait être choisi comme candidat lors des primaires. C’est un homme intelligent, sérieux, expérimenté, solide. Je trouve qu’il a remarquablement bien dirigé le gouvernement même si je n’ai pas toujours été d’accord avec certaines de ses approches, notamment autour des questions de religion. Je ne l’ai absolument pas soutenu dans cette histoire de burkini qui était parfaitement ridicule.


Il est très laïc, laïc, laïc. Certains lui reprochent cette raideur, peut-être que la campagne l’assouplira un peu. En tout cas, en tant que président de l’Institut, je n’ai pas à me plaindre de lui, il nous a énormément soutenus. A plusieurs reprises lorsque Mr Fabius était ministre, le Quai d’Orsay a voulu baisser la subvention sans laquelle l’IMA n’existe pas. Je suis allé à la rencontre du ministre et Manuel Valls a arbitré très clairement et très fermement en faveur de l’Institut. Grâce à lui la subvention a été préservée.


Vous avez donc décidé de soutenir Manuel Valls ?


A un moment ou à un autre il faut bien qu’il y ait un rassemblement derrière la personne qui puisse être le candidat. Sauf si d’ici le 15 décembre d’autres candidats se dévoilent. Au parti socialiste tout est possible.


Arnaud Montebourg ne vous semble pas être un candidat crédible ?


Je ne veux pas être désobligeant à l’égard d’Arnaud Montebourg qui est un garçon brillant mais vous le voyez chef d’Etat ?! Il faut quelqu’un qui ait de l’envergure, qui ait un sens de l’Etat, des responsabilités nationales et internationales.


Et Emmanuel Macron qui ne passe pas par la case primaire ?


Macron où est-il exactement, je ne sais pas. Il a une très faible expérience. Il y a deux ans et demi, il était inconnu au bataillon, ce sont Hollande et Valls qui l’ont fait connaître. Tout d’un coup ça lui a monté à la tête. Il est brillant, il est intelligent, il a du charme mais il n’a pas d’expérience réelle de la société, de l’Etat, même si il a été ministre deux ans.


A l’instar de ce qui s’est passé aux Etats-Unis, ne doit-on pas craindre une victoire du Front national en mai prochain ?


La réponse est entre les mains des responsables politiques. Si les candidats sont capables, de droite ou de gauche, de tenir un discours ferme, clair, et aussi mobilisateur. S’ils redonnent au pays un espoir, Mme Le Pen diminuera inévitablement. Ce n’est pas en lui tirant dessus qu’on la fera baisser. C’est en montrant ce que tel ou tel candidat peut apporter au pays, à l’Europe, qu’on impulsera  une nouvelle espérance. C’est par le combat positif que l’on peut faire reculer toutes les formes d’obscurantisme. C’est pareil pour ces fanatiques qui se disent islamistes alors qu’ils exploitent, ils défigurent l’Islam.


A ce propos, on ne félicitera jamais assez le roi du Maroc d’avoir tenu des propos absolument remarquables au mois d’août dernier. Un discours admirable qui mériterait d’être largement diffusé à travers le monde. Non seulement il exprime une philosophie très claire, très belle, très forte, qui prône un Islam éclairé et pacifique, mais en plus il agit concrètement. Dans le pays et en dehors, à l’image de tout ce qu’il entreprend en Afrique.


Les islamistes ne se combattent pas que par des invectives, il faut exprimer une philosophie, une vision qui donne de l’espoir, de la fierté, de l’envie. J’espère que dans les prochaines semaines, il y aura matière à espérer.


Propos recueillis par Jonathan Ardines