La contrôleuse des prisons opposée au regroupement des islamistes radicaux

 La contrôleuse des prisons opposée au regroupement des islamistes radicaux

En 2022, la densité carcérale globale était de 118,7%. Cette année, elle a grimpé à 122,8%.


Pression mentale, intimidation : les islamistes radicaux exercent une inquiétante influence dans les prisons françaises qui va bien au-delà des détenus incarcérés pour des faits à caractère terroriste, pointe la contrôleuse des prisons dans un rapport. Adeline Hazan se dit défavorable au regroupement des islamistes en prison, une mesure prônée par le premier ministre.


 


Risque d’arbitraire


« Quelque 18 000 détenus sur 67 000 pratiquent le ramadan dans les prisons françaises, selon l'administration pénitentiaire. Parmi eux, combien y a-t-il de détenus radicalisés ? » interroge le rapport. « Les chiffres en la matière sont difficiles à établir », tant la réalité du phénomène est complexe et mouvante, dit-il.


Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), est allée voir comment se passait le regroupement des islamistes en prison, à Fresnes surtout, dans le Val-de-Marne, où les radicaux sont enfermés dans une unité particulière depuis octobre 2014, une mesure que le premier ministre veut étendre à quatre autres quartiers de la région parisienne et à un dans le Nord.


La contrôleuse générale, dans un avis rendu le 30 juin, n’y est pas favorable. Le regroupement est « potentiellement dangereux », ne correspond à aucun régime légal et peut glisser vers un régime d’isolement, à la discrétion de l’administration, sans les voies de recours habituelles. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a répondu qu’elle partageait ces inquiétudes, qu’il n’était pas question de créer un régime de détention spécifique et qu’on travaillait à améliorer la prise en charge.


 


Amplification de la radicalisation en milieu carcéral


Adeline Hazan relève d’abord que la prison « est loin d’être le lieu premier de la radicalisation », puisque 16 % seulement des détenus soupçonnés d’islamisme avaient déjà été incarcérés auparavant – mais « il n’est pas contestable que le phénomène de radicalisation s’amplifie en milieu carcéral ».


À Fresnes, le directeur a commencé à changer de cellule les détenus qui posaient problème, c’est-à-dire 22 des 29 personnes poursuivies pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (ils sont 190 en France) qui se signalaient par un comportement prosélyte : « ne pas se doucher nu, ne pas fumer, ne pas écouter de la musique », constate le rapport.


Le directeur les a regroupés dans une « unité de prévention du prosélytisme » (U2P), sans autre prise en charge et sans parvenir à « faire revenir le calme ». Les détenus regroupés, que les contrôleurs ont tous rencontrés, craignent de plus « d’être étiquetés durablement comme islamistes radicaux » et de ne pouvoir eux-mêmes « se défaire de l’emprise de leurs codétenus ». Adeline Hazan juge d’ailleurs le critère de sélection « discutable » : il ne prend pas en compte les prosélytes qui ne sont pas poursuivis pour terrorisme.


Regrouper tous ces détenus en région parisienne, d’où qu’ils viennent, peut être contre-productif : le maintien des liens familiaux est un droit, et la famille joue un rôle pour ramener les jeunes à la raison. « Toutes les conséquences ne paraissent pas avoir été envisagées à long terme », indique la CGLPL.


 


Stopper la violence sans remettre en cause l’attachement à l’islam


Le programme de déradicalisation est testé sur des volontaires dans les maisons d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne) par l’Association française des victimes de terrorisme et l’Association dialogue citoyen. Vingt personnes, en cellule individuelle, y seront incarcérées et devraient avoir accès aux services communs de la détention – mais feront promenade à part : « Le risque existe qu’une nouvelle catégorie de personnes détenues soit créée, sans cadre juridique », s’inquiètent les contrôleurs.


Il est un peu tôt pour juger de l’effet de ces programmes, qui n’ont démarré qu’en mai. Il s’agit « d’investir la période de détention par des stages de citoyenneté, des groupes de parole et toute activité qui paraît utile pour briser le repli identitaire ». L’idée est de stopper la violence, sans remettre en cause l’attachement à l’islam : « Le libre exercice du culte est garanti par le principe de laïcité, à valeur constitutionnelle ».


Reste l’éternel problème de la surpopulation carcérale, qui entraîne « une promiscuité propre à favoriser des comportements radicaux ». À la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 4 200 détenus s’entassent dans 2 600 places ; à Osny, 928 personnes dans 580 places : la règle de l’encellulement individuel, prévu par la loi du 15 juin 2000, n’a cessé d’être reportée.


Rached Cherif