L’état d’urgence ou « l’écran de fumée du tout sécuritaire »

 L’état d’urgence ou « l’écran de fumée du tout sécuritaire »

Jean-Claude Amara


 


A l'heure où l'on se dirige vers une nouvelle prolongation de l'état d'urgence, de nombreuses associations travaillent pour en finir avec la pérennisation de ce qui devrait être un régime d'exception. Ainsi les associations Droits devant, le DAL et bien d'autres continuent de résister, notamment avec la campagne « Stop état d'urgence ». Jean-Claude Amara, porte-parole de l’association Droits devant, revient sur cette lutte quotidienne.


 


LCDL : L'entrée de l'état d'urgence dans la constitution vous semble-t-elle possible ou même concevable ?


Jean-Claude Amara : C'est loin d'être fait puisque nous travaillons avec des députés notamment Sergio Coronado, Noël Mamère, Amir Pouhirshahi… qui ont refusé de voter l'état d'urgence. Nous voyons bien que de plus en plus de députés voteront non. La campagne « Stop l'état d'urgence » commence à bien prendre. Nous l'avons lancée le 26 novembre 2015. Quatre jours après le 22 novembre, où 58 d'entre nous ont été fichés et contrôlés et passibles de poursuite par la sécurité du territoire pour avoir participé à une manifestation interdite de soutien aux migrants. Les poursuites ont été abandonnées depuis parce qu'ils ont bien senti qu'ils ne gagneraient pas le rapport de force.


 


Donc le 26 novembre, Droits devant, le DAL et d'autres associations, nous avons lancé officiellement l'appel à désobéir à l'interdiction de manifester. Du coup, une coalition très large s'est mise en place. Aujourd'hui plus de 100 associations politiques, collectifs, réseaux… se sont regroupés sous le label « Stop état d'urgence ». Toutes les manifestations qu'ils voulaient interdire ont eu lieu, donc nous les avons fait reculer là-dessus.


 


 


Vous avez réussi à faire reculer le gouvernement sur l'interdiction de manifester en rassemblant énormément de monde contre l'état d'urgence. Considérez-vous cela comme une victoire ?


Mais ça ne nous suffit pas, lors de la mobilisation de fin janvier, il y avait près de 20 000 personnes dans les rues de Paris, dans 70 villes de France des comités se sont créés. Un maillage national se met en place, il s'agit de réveiller les consciences des citoyens lambda qui sont tétanisés par la peur, la propagande de la guerre etc. (…) L'état d'urgence ne résoudra rien et pour nous il est hors de question qu'il s'inscrive dans la Constitution française, même si notre Constitution est en très mauvaise santé, voire, de mauvaise constitution.


Et ce pour plusieurs raisons : parce que ça rappelle les heures les plus sombres, 1955 c'était la guerre d'indépendance du peuple algérien, c'était sous Papon (…) Il y a eu 2005 sur la révolte des banlieues. On voit bien que la pérennisation de l'état d'urgence, permettrait à n'importe quel gouvernement (sans parler de Front national, de droite ou de gauche, tout ça n'existe plus), à partir du moment où il aura cet outil, d'éradiquer toute volonté de contestation. (…) Nous savons parfaitement que sous la lutte contre le terrorisme, la pérennisation de l'état d'urgence est aussi une façon pour le gouvernement, de tenter d'éradiquer petit à petit les mouvements de contestation et notamment les associations qui sont sur le terrain depuis longtemps.


 


Quelle sera la suite des événements pour les initiateurs de cette campagne « Stop état d'urgence » ?


Notre travail ce n'est pas de regarder ce qu'ils font. Notre travail est un travail de longue haleine, un travail de terrain que nous faisons depuis le 26 novembre, c'est de convaincre des consciences complètement tétanisées par la peur. Parce que ce gouvernement joue sur la peur, qui entraîne la méfiance de l'autre, de l'étranger, l'islamophobie galopante qui s'accentue de plus en plus, on fabrique l'ennemi de l'intérieur parce que c'est le bouc-émissaire tout trouvé pour masquer la désertion totale du gouvernement sur le respect de l'égalité des droits.


Nous avons un travail considérable mais nous allons le faire et nous avons commencé à le faire. C'est partout dans les rues, facs, campagnes, qu'il faut inverser petit à petit l'opinion publique. (…) Il faut leur couper l'herbe sous le pied d'ici 2017. (…) On voit bien que sur la durée, il y a bien une partie de cette France qui va comprendre que Hollande a en ligne de mire 2017, et qu'il fera tout pour arriver en position de sauveur. L'écran de fumée du tout sécuritaire, de l'état d'urgence, c’est pour masquer le recul absolu sur le combat pour l'égalité des droits, alors que la pauvreté, la misère, la précarité ne cessent de s'étendre dans ce pays.


 


Propos recueillis par F. Duhamel