« Jambisations » en Seine-Saint-Denis : quand règlement de comptes rime avec mutilation

 « Jambisations » en Seine-Saint-Denis : quand règlement de comptes rime avec mutilation

La police assiste


« À Marseille, on tue. Ici, on mutile : une ou plusieurs balles dans les jambes, c'est une particularité locale. » En Seine-Saint-Denis, les policiers ont désormais un nom pour désigner les expéditions punitives entre dealers : « jambisation ». Rien qu'entre fin janvier et début février, il y en a eu trois du genre.


 


3 « jambisations » depuis le début de l’année


Quand il a épluché la base de données qui recense les blessés par arme à feu dans ce département populaire de banlieue parisienne – 33 en 2015 -, Frédéric Adnet, chef du SAMU 93, est tombé de l'armoire. « Cuisse, cuisse, jambe, genou -deux impacts-, genou… Le nombre de blessures aux membres inférieurs est… frappant. »


Stains, haut lieu du trafic de drogue du département, 30 janvier : en pleine nuit, un tireur cagoulé et ganté tire sur un jeune homme au pied d'un immeuble. Au niveau d'un genou. Cinq jours plus tard, une deuxième victime est atteinte à une cuisse. « Match retour », dira la police. Entre-temps, à Saint-Denis, un troisième homme est touché à un pied par deux projectiles tirés par un agresseur en voiture, en pleine journée. Avec cette fois une victime collatérale : sa fille de 12 ans, légèrement blessée à un coude.


Des enquêtes sont en cours. Mais pour un membre de la police judiciaire, « pas de doute, on est dans une nouvelle série de “jambisations” », après la trêve de l'état d'urgence", instauré après les attentats du 13 novembre.


 


Mutilés à vie


« Désormais, en Seine-Saint-Denis, on donne des leçons en mutilant, dit-il. Pourquoi ? En termes d'exemplarité, c'est plus efficace : un mec qui disparaît, au bout de 15 jours, on l'oublie. Alors que celui qui se trimballe dans la cité avec des béquilles ou en fauteuil roulant, c'est autre chose. » Autre hypothèse avancée : « Pour coups et blessures avec armes, les auteurs ne risquent pas les assises. Et donc pas de lourdes peines ».


Estimées par une source policière du département à une vingtaine environ en 2015, ces « jambisations » trouvent leur origine dans les « gambizzazioni » italiennes. La « méthode » – le tireur vise les jambes, sans chercher à tuer – était prisée de la mafia, mais aussi des Brigades rouges, pendant les « années de plomb ». Les séquelles sont souvent irréversibles. « Un fémur éclaté, ça se guérit, mais les victimes boiteront toute leur vie », selon le Dr Adnet.


 


Pas de plaintes


« On a des périodes avec des “jambisations” à tour de bras. C'est par phases, par lieu, en fonction des logiques de territoires dans le “deal” », analyse de son côté un policier de la sûreté territoriale de Seine-Saint-Denis. « Mais c'est à chaque fois le même scénario : la victime ne voit pas du tout ce qui a pu lui arriver, parle d'erreur sur la personne et ne dépose pas plainte. »


Un de ses collègues cite le cas d'un « gamin jambisé » en septembre : « Il était arrivé la même chose cinq mois plus tôt à son frère, mais lui ne voyait pas du tout le rapport. » Pour les forces de l'ordre, ces « jambisations » restent un casse-tête : « Pas de victime, pas de témoin, pas d'arme : l'omerta ».


Rached Cherif


(Avec AFP)