France. Banalisation du discours anti-pauvres dans la société et la classe politique
Près de 8,8 millions de Français -sur 66 millions- vivent sous le seuil de pauvreté, dont des familles et des salariés aux revenus insuffisants. Ils étaient un million de moins en 2008, au début de la crise économique. Pourtant, la lutte contre les inégalités ne figure pas au coeur de la campagne de la présidentielle de 2017 et « les discours sur l'assistanat fleurissent », s'alarment les associations caritatives.
« Montée de la pauvrophobie »
Pendant des années, Anne a tout eu : créatrice indépendante de bijoux, elle a collaboré avec de grands joailliers, élevé ses enfants, acquis un appartement. Mais sa vie a basculé : elle doit se débrouiller avec les minima sociaux et affronter les regards négatifs. « Je suis passée du statut de personne bien insérée à celui de profiteur, c'est très dur », glisse cette Parisienne, cheveux grisonnants relevés en chignon. Elle qui dessinait à la main n'a jamais réussi à passer au numérique, le poids des charges a été fatal. À 60 ans, elle touche 470 euros d'aide sociale mensuels contre 3 000 euros dans ses années fastes, jusqu'en 2011. Elle devra attendre ses 67 ans pour toucher une retraite pleine, 800 euros mensuels.
« Il y a une montée de la “pauvrophobie” », s'insurge Florent Guéguen, directeur général de la fédération d'associations FNARS : les incidents contre les structures d'accueil des sans-abris ou des migrants se multiplient. Autre exemple, un département a voulu conditionner les minima sociaux à des heures de bénévolat – un projet retoqué par la justice.
Le regard sur les plus vulnérables s'est durci, confirme le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc). En 2016, un Français sur trois (36 %) considère que les pauvres « n'ont pas fait d'effort pour s'en sortir » contre 25 % en 1995.
Plusieurs facteurs pour ce manque de compassion : l'idée que les caisses de l'État sont vides, le fatalisme face au chômage de masse et le ressentiment des classes moyennes qui se perçoivent « comme les perdantes de la redistribution fiscale », quand les plus riches ont vu leur patrimoine s'accroître, énumère la chercheuse Sandra Hoibian.
Discours anti-pauvre de l’extrême droite à la gauche
Le candidat de la droite, François Fillon, actuel favori de la présidentielle dans les sondages, considère que le système social « peut aujourd’hui favoriser l'assistanat au détriment de l'activité » et veut le réformer. Il compte aussi durcir les règles de l'assurance chômage pour inciter à la recherche plus active d'emploi.
À gauche, le terme « sans-dents », utilisé par le président socialiste François Hollande pour parler des pauvres, est resté comme une tache. À l'extrême droite, le Front national (FN) se pose en défenseur des « invisibles », mais déplore « l'enfermement malheureux dans l'assistance » et veut réserver « la solidarité (aux) nationaux ».
À Pôle-Emploi, « on m'a fait comprendre qu'à mon âge il n'y avait rien pour moi », regrette pourtant Anne. Faire quelques heures de ménage ou d'accompagnement de personnes âgées, sa seule option, lui aurait fait perdre l'accès aux transports gratuits et aux soins médicaux.
Les pauvres sont vus de plus en plus comme « des profiteurs », déplore Samuel Coppens, de l'Armée du Salut. Dans les faits, beaucoup de ceux qui pourraient obtenir des aides ne les demandent pas, selon ATD Quart Monde. Or, « la fraude des pauvres est une pauvre fraude », relève le Conseil d'État, plus haute juridiction administrative française. Elle se monte à une centaine de millions d'euros par an, contre plus de 3 milliards pour la fraude fiscale.
Rached Cherif
(Avec AFP)