Être ou ne pas être en … politique

 Être ou ne pas être en … politique

FRED DUFOUR / AFP


Le sociologue Abdelmalek Sayad* écrit : « exister, c’est exister politiquement ». Cette sentence pose aujourd’hui la question cruciale : quelle place pour les Français de confession ou de culture musulmane dans les élections et la citoyenneté ? 


La bataille des primaires de la droite et du centre a pris fin avec une victoire incontestée et incontestable du candidat François Fillon, sa vision ultralibérale en terme économique, ultraconservatrice en terme sociétal, crypto-gaulliste en termes de politique étrangère, et une motion toute particulière à l’adresse des citoyens français de confession ou de culture musulmane. Cette dernière est  largement exposée dans son livre programme, « Vaincre le totalitarisme islamique »**, et non islamiste.


Fillon ou Juppé, Juppé ou Fillon, cette question a trusté les zincs des cafés, les places des églises, surtout celles qualifiées de TRADI ou traditionalistes et les discussions sur l’actualité en général.


Mais il est triste de constater que cette même question était quasiment absente des lieux de rencontre habituels de ces mêmes citoyens français de culture ou de confession musulmane, c’est-à-dire les commerces, les quelques places et lieux réputés être leurs centres de rassemblement et de ralliement un peu partout, dans les grandes villes  de  France, et bien sûr les mosquées et leurs alentours.


A la réflexion, je me demande s’il ne faut pas RETIRER le mot CITOYENS à celle belle formule « citoyens français de culture ou de confession musulmane », tant ce mot citoyen ne semble pas encore avoir trouvé sa place dans le cerveau de centaines de milliers de personnes, pourtant scolarisées et socialisées en France, depuis leur naissance dans l'hexagone, ou leur arrivée à un âge précoce.


Ces « citoyens français de culture ou de confession musulmane »,  je maintiens ici ce mot citoyen par respect à la minorité agissante, au sein de cette composante sociologique française, qui se bat depuis toujours. Depuis, au moins la grève du paiement des loyers des foyers Sonacotra en 1977, pour dénoncer les conditions de vie insalubres de ces foyers pour travailleurs immigrés. Depuis1983 et la marche contre le racisme et pour l’égalité des droits, transformée en « la marche des Beurs », par les politiques et les médias dominants, pour dévaloriser les demandes d’égalité républicaine.


Les jeunes de l’époque avaient pris en charge l’héritage des luttes mémorables de leurs parents et grands parents pour accéder au statut d’égalité avec tous les autres Français, d’intégrer le triptyque de la République, Liberté Égalité Fraternité, d’aune part, et le « récit national », d’autre part.  Pour être « des Français à part entière et non des Français à part.


Les jeunes frères et les enfants de ces « marcheurs de l’égalité » semblent, aujourd’hui,  déambuler dans leur propre pays, comme des somnambules, voire des zombies, dés lors qu’il s’agit de droits civiques, de citoyenneté, de politique et … d’élections.


Une large partie de ces somnambules-zombies de la citoyenneté et de la vie démocratique, au quotidien, sont  noyés dans une « inculture politique » quasi totale, héritée d’une part des traditions qui conseillent de ne jamais contester l’ordre établi et d’autre part, de l’incapacité de se projeter dans l’avenir pour eux mêmes, mais aussi, pour leur enfants et petits enfants.


Leur  mot d’ordre pourrait être « pour vivre heureux vivons cachés », et loin des lumières publiques, de l’administration et des instances étatiques. Leurs rapports, avec ces dernières, se limitent à refaire les papiers d’identité et administratifs, payer ses impôts, toucher ses remboursements de la sécurité sociale et quelques fois des allocations familiales et du chômage.


Ces  somnambules-zombies donnent l’impression d’avoir leurs corps en France et leurs têtes ailleurs, dans les pays de leurs grands parents, pays qu’ils subliment, alors même qu’ils ne les connaissent pas, et ne s’y rendent que très rarement.


Une seconde large partie de ces somnambules-zombies de la citoyenneté et de la vie démocratique au quotidien, disposent, au contraire des premiers, d’une culture politique certaine. Mais cette dernière est noyée dans une religiosité de façade, d’une religion dont ils ne maitrisent ni la profondeur de réflexion, ni les concepts essentiels.


Ceux-là sont capables de blablater pendant des heures pour  expliquer, au tout venant, que le VOTE est HARAM. Ils  promettent à leurs contradicteurs tous les enfers, s’ils participent aux élections ou incitent les autres à y participer. Certains d’entre eux assènent même que la preuve, que le vote est haram, se concrétise par le fait qu’il n’y a pas de vote dans « la terre du prophète », l’Arabie saoudite.


De ce fait, ils ne craignent pas d’afficher leur ignorance du monde dans lequel ils vivent, et ne se rendent pas compte de la contradiction de leurs propres arguments. Personne ne semble leur avoir dit que cet argument vient de tomber, puisque l’Arabie saoudite vient d'organiser des élections municipales, qui plus est, avec la participation des femmes comme électrices, comme candidates et comme élues.


Il reste beaucoup de travail à faire, dans les familles, l’école, les associations, les médias, et toutes les instances culturelles et cultuelles, autoproclamées représentantes ou représentatives, des ces deux catégories de citoyens français de culture ou de confession musulmane, pour que la citoyenneté et la participation aux élections entre dans la réalité de leur vie quotidienne.


Je rappellerais à tous, ici, la célèbre maxime de Madibou Nelson Mandela « un homme, une voix » pour laquelle il a consacré sa vie et passé vingt sept ans en prison, pour que chaque Homme dispose de ce précieux sésame, pour être « l’invictus » de soi-même et le maître de son destin.


Et je rappellerais aux plus intéressés, les phrases de Shakespeare « être, ou ne pas être : telle est la question… Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ? ». Le simple poinçon serait-il, ici, le vote et l’exercice des droits civiques ???


 


Tarek Mami


Président de France Maghreb 2 – Radio


*Abdelmalek Sayad, (1933 – 1998) est sociologue, directeur de recherche au CNRS et à l’EHESS, assistant de Pierre Bourdieu. Fin connaisseur de la communauté franco-maghrébine en France; il a été décrit par ses amis comme un « Socrate d'Algérie »


** François Fillon : «  Vaincre le totalitarisme islamique », édition Albin Michel, octobre 2016