« Etre enfermé quand on est innocent est une des choses les plus dures à vivre », Redouane Ikil, en mandat de dépôt depuis plus de deux ans

 « Etre enfermé quand on est innocent est une des choses les plus dures à vivre », Redouane Ikil, en mandat de dépôt depuis plus de deux ans

Comité de soutien de Redouane Redouane Ikil


 


Il y a quelques jours, nous vous relations l’histoire de Redouane Ikil (voir notre article), jeune homme de 43 ans, originaire de Pau (mais il vit à Toulouse depuis plusieurs années), au casier judiciaire vierge, ancien boxeur professionnel et papa de trois enfants, incarcéré depuis plus de deux ans à la prison de Montpellier, à 250 kilomètres de sa compagne et de son fils de 19 mois qui vivent à Toulouse. (Il est également papa de deux autres enfants issus d’un premier mariage). 


 


Redouane Ikil, directeur d’une agence postale au moment des faits (NDLR : il l’est toujours puisqu’il n’a pas été reconnu coupable) est accusé par la justice française d’être le cerveau de deux braquages avec séquestration survenus dans les agences postales toulousaines le 6 mars 2012 et le 2 mai 2013. Depuis son placement en garde à vue le 12 avril 2014, il ne cesse de clamer son innocence et évoque un acharnement judiciaire. Par l’entremise de sa compagne, nous avons réussi à recueillir son témoignage. Après près de vingt-sept mois d’une longue détention provisoire, Redouane Ikil ne sait toujours pas quand il va être jugé. Il risque les Assises et une peine à deux chiffres. Le 12 juillet 2015, son frère a également été arrêté. Pour les mêmes faits.


 


LCDL : Comment vous sentez-vous ?


Redouane Ikil : Je suis en prison depuis 810 jours et j'ai encore du mal à le réaliser. Je suis enfermé alors c’est difficile : rien ne vaut la liberté. Mais j’essaie de faire en sorte que les journées se passent bien. J'ai réussi à me faire respecter grâce à mon expérience des jeunes de quartiers. Et puis, j’aide dès que je peux, je donne un coup de main. Par exemple, il m’arrive parfois de rédiger un courrier pour untel, de distiller des conseils à un autre qui recherche un emploi. Je ne parle pas de toutes ces bagarres que j'ai évitées en parlementant avec les deux parties.


 


Vous avez déclaré vivre un cauchemar…


Effectivement, les premiers mois, je n’arrivais pas à dormir. Je passais souvent la nuit assis sur une chaise, persuadé qu’on viendrait me chercher en me disant : « Désolé c'est une erreur ». Aujourd'hui,  c’est au-delà du cauchemar : je vis un enfer. La situation ne se débloque pas alors qu'il n y a aucune preuve contre moi. Je ne comprends pas pourquoi la justice n’accepte pas mes demandes de libération conditionnelle : j’en ai déposées 33 ! J’ai vu des types en prison sortir alors que leurs dossiers étaient bien plus « chargés » que le mien. Ils avaient également des casiers judiciaires fournis : le mien est vierge.  Je présente toutes les garanties de représentation. J’ai trois enfants, dont un en bas âge, ma famille est en France : je ne vais pas quitter le territoire si je suis remis en liberté.


 


Vous vous plaignez également du juge d’instruction ?


Oui. J'ai subi tout ce qui est possible de subir de la part de ce juge d'instruction. J’ai été transféré vers une autre prison, à 250 kilomètres de ma famille sans aucun motif. A l’intérieur, je n’ai pas eu le droit de travailler ou de faire du sport pendant 7 mois. Les surveillants fouillent ma cellule chaque mois. Je suis même fiché S ! J’ai eu droit à tout. Vraiment tout ! Il est persuadé que je suis un « voyou intelligent ». D’après un enquêteur, il a juré qu'il aurait ma tête. J’ai rencontré ce juge d’instruction en octobre 2014 : c'est lui qui a hérité de mon dossier. J'avais déjà vu deux juges d'instruction avant lui. Dès le début, il m'annonce sa vison des choses : il me dit qu'il pense que mon frère et moi, sommes coupables. C’est lui qui le fera arrêter après 44 mois d’enquête. Après le deuxième braquage, j’ai été placé sur écoutes pendant deux ans. Les enquêteurs ont même vérifié si je n'avais pas un deuxième téléphone. Et ils n’ont rien eu à redire à mon train de vie qui est resté le même. Je gagnais bien ma vie puisque mon salaire était de 5000 euros par mois. J’étais heureux avec ma nouvelle compagne, j’étais président d’un club de boxe à destination des jeunes du quartier. Je n’ai jamais eu affaire avec la justice. Pourquoi aurais-je voulu sacrifier tout cela pour de l’argent ?


 


Vous dites aussi que certains de vos droits n’ont pas été respectés…


Oui. En février 2015, je suis convoqué de nouveau par le juge d’instruction pour parler d’un plan de l’agence que j’ai dû dessiner sous la contrainte et que j’ai remis à deux de mes agresseurs. La loi stipule que je ne peux être interrogé par le juge qu'après avoir eu accès aux différentes commissions rogatoires. L'audition du mois d'octobre est donc illégale puisque la commission rogatoire de juillet 2014 n'a été versée à mon dossier qu'en février 2015, soit six mois après la date limite. En février 2015, je vis une audition complètement hallucinante. Le juge d’instruction me demande alors en me regardant dans les yeux : « Etes-vous Charlie ? », ce à quoi je réponds « Oui ». Mais quel est le rapport avec mon histoire ? Le juge essaie-t-il de m'associer aux affreux attentats de janvier ? Ce juge est connu pour ses  idées politiques d'extrême droite. Des idées qu'il assume.


 


Votre ADN a été retrouvé sur ce « fameux plan » de l’agence qui aurait selon la justice aider les braqueurs…


J’ai expliqué aux enquêteurs que le 11 janvier 2013, en rentrant chez moi, j’ai reçu un coup violent sur la tête. Deux  individus cagoulés me demandent de leur dessiner l'agence de Saint-Cyprien (NDLR : dans le quartier du Mirail, à Toulouse). Je m'exécute en leur gribouillant un faux plan : je n’ai jamais travaillé dans cette agence ! Ils veulent savoir ensuite si le système d'alarme est partout le même. Je leur mens en leur répondant que oui. C’est d’ailleurs grâce à ce système d’alarme qu’ils se feront arrêter. Si j'avais vraiment voulu aider les braqueurs, ne pensez-vous pas que je leur aurais indiqué comment neutraliser le système d’alarme puisque c'est moi qui les ai installés dans toutes mes agences ? Les enquêteurs ont également vérifié si ma fenêtre avait été fracturée : oui, elle portait toujours les traces d'effraction, ce qui prouve que j’ai bien été agressé. Le juge pense aussi que j’ai eu une relation amoureuse avec la responsable de l’agence de St-Cyprien, celle là même qui a été braquée, afin de lui soutirer des informations. Je n’ai jamais couché avec elle : c’est une amie à qui je donnais des conseils.


 


Les enquêteurs vous reprochent de ne pas avoir porté plainte…


Mes agresseurs ont pris des photos de mes enfants et ont menacé de s’en prendre à eux si j’en parlais à la police. Ils ont également emporté avec eux un tas de papiers avec l’adresse de ma famille à Pau. Les jours d’après l’agression, j’ai fais comme si rien ne s'était passé. Mais je n’étais plus le même. Je suis devenu beaucoup plus agressif, je me suis également séparé de ma compagne de l'époque. J’ai postulé dans d’autres agences pour quitter Toulouse. En vain.


 


Avez-vous tout de même parlé de cette agression à des gens ?


Oui. A la mère de ma première fille, un an avant d’être placé en garde à vue. Je lui avais dit que je m'étais fait agresser avec une arme et que je cherchais à quitter de Toulouse.


Elle racontera tout cela au tribunal, mais les juges préféreront s’étendre sur les raisons pour lesquelles je n’étais plus avec sa fille. J'en ai également parlé à un ami : il dira au juge qu'il s'en est voulu de ne pas avoir pris au sérieux ma demande d'aide. Mais curieusement, la justice semble rester sourde à tous ces témoignages. Il ne se passe pas un jour où je ne repense au fait que si j'avais porté plainte, je serais aujourd’hui dans le camp des victimes.


 


Comment faites-vous pour ne pas craquer ?


Je suis un ancien boxeur professionnel. J'ai un tempérament de guerrier c'est ce qui me sauve dans ce milieu carcéral. Sinon, je pense que j’aurai déjà pété un câble depuis longtemps. Et puis, ma femme me soutient énormément. Elle n’hésite pas à me rendre en visite en compagnie de notre fils. Il y a aussi le comité de soutien qui m’aide à rester positif. Souvent, je repense à ma vie pour savoir ce que j'ai bien pu rater pour terminer en prison. Mon moral varie : je peux être plein d'espoir et plein d'humour une semaine puis passer à un stade d'hyper-agressivité, la semaine suivante. Etre enfermé quand on est innocent est une des choses les plus dures à vivre.


 


Propos recueillis par Nadir Dendoune