État d’urgence : Premières condamnations de manifestants, inquiétude pour les libertés
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné mardi deux personnes interpellées lors d'un rassemblement dimanche à Paris, en marge de la COP21, l'un à de la prison ferme, l'autre à une amende. Les manifestants et de nombreuses associations se sont indignés de l’utilisation des règles de l’état d’urgence pour réprimer les mouvements sociaux et écologiques.
Amende et prison ferme
Dans la première affaire, jugée en comparution immédiate, le prévenu de 28 ans a été condamné pour avoir jeté une bouteille en verre en direction d'un policier, le blessant légèrement à la lèvre, sur la place de la République. Le jeune homme, résidant à Chalon-sur-Saône, avait auparavant affirmé qu'il avait jeté une canette métallique, sans viser personne en particulier.
Son avocate avait fait valoir que le prévenu, qui avait bu et qui tranchait avec ses vêtements clairs et son encombrant sac à dos au milieu de personnes cagoulées et vêtues de noir, n'était « pas là pour casser ». Elle avait aussi appelé le tribunal à ne pas faire un exemple : « ce n'est pas le procès de la manifestation (…), c'est le procès d'un homme ».
Dans l'autre affaire, c'est une jeune femme de 25 ans que le tribunal a condamnée à une amende de 1 000 euros pour avoir refusé de laisser prendre ses empreintes digitales. La prévenue, qui a indiqué gagner sa vie par des travaux agricoles saisonniers, vendanges ou récolte d'olives, s'était dite « complètement pacifique ».
Son avocate avait jugé que la procédure « frisait le ridicule », soulignant le contraste entre le grand nombre de gardes à vue décidées dimanche, plus de 300, et la comparution de seulement deux personnes pour l'instant. En effet, deux autres personnes restent en garde à vue, tandis que cinq ont été relâchées. Les gardes à vue de plus de 300 autres avaient déjà été levées lundi. L'enquête se poursuit.
Les libertés fondamentales menacées par l’état d’urgence
Dans le cadre de l'état d'urgence, les manifestations avaient été interdites en Ile-de-France jusqu'à lundi soir à minuit, ainsi que dans plusieurs villes de France. Des échauffourées avaient éclaté dimanche après-midi entre des manifestants et les forces de l'ordre, que l’ont voit disperser violemment des manifestants pacifiques sur plusieurs vidéos. Plusieurs autres manifestations prévues dans le cadre de la COP21 ont d’ores et déjà été annulées par les autorités, ce que dénoncent les associations de défense des droits humains. Des restrictions qui inquiètent également la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNDH).
Également professeure de droit privé à l’université Panthéon-Sorbonne, la présidente du CNDH, Christine Lazerges, a fait part de son inquiétude, en particulier en raison de la longueur de l’état d’urgence et des abus qu’il occasionne. « La CNCDH va être forcément vigilante sur la mise en place des mesures de l’état d’urgence », a-t-elle prévenu, précisant qu’il y aura « un suivi des bavures » policières.
Sur l’interdiction de manifester, le CNDH « sera sans doute plus sévère encore que sur d’autres sujets. Car là, quand on touche au droit de manifester, on sent vraiment l’atteinte aux libertés », estime Mme Lazergues. Plusieurs organisations, telles qu’Amnesty International ou encore la Ligue des droits de l’homme, ont ouvertement dénoncé l’instrumentalisation de la lutte antiterroriste pour affaiblir les mouvements associatifs.
Rached Cherif