Élections législatives algériennes : « Si on ne vote pas, on n’existe pas et on laisse les autres faire de nous ce qu’ils veulent », Chafia Mentalecheta, députée algérienne
Les élections législatives algériennes ont démarré ce jeudi 4 mai. Plus de 23 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire leurs députés. Cette année, un nombre impressionnant de candidats : 11 334 indépendants ou encartés et 63 partis politiques. Un record depuis l’avènement du pluralisme, en 1989, qui avait mis alors un terme à l’ère de l’État-FLN. En charge des Algériens de France dans la partie nord du pays, Chafia Mentalecheta est la députée sortante. Elle regrette et s'inquiète du peu d’engouement autour de ces élections chez ses compatriotes vivant en hexagone.
LCDL : Comment expliquez-vous ce manque d'intérêt ?
Chafia Mentalecheta : C’est le résultat d’une somme d’actes manqués sur la forme et sur le fond. Les élections législatives algériennes se déroulent entre les deux tours de l’élection présidentielle française et de fait les candidats sont totalement inaudibles.
Il n’y a pas de réelle publicité faite autour de ces élections. Quand ils sont au courant des dates et lieux de vote, les électrices et électeurs algériens ne connaissent pas les candidats car ils ne reçoivent pas chez eux l’ensemble des programmes comme pour les élections françaises.
Et même si les candidats sillonnent le territoire, ils ne peuvent pas avoir directement accès aux 955 426 électeurs directement dont 463 260 sur la zone 1 (NDLR : la zone nord). Par ailleurs, la date du scrutin prévu initialement entre le 29 avril et le 4 mai a été modifiée à la demande des autorités françaises qui ne pouvaient pas assurer la sécurité des lieux de vote pendant six jours. Le scrutin s’est donc déroulé les 29 et 30 avril et a repris aujourd'hui, le 4 mai.
Certains électeurs ont trouvé suspicieux ce changement de date…
Oui. Pendant trois jours, donc du 30 avril au 4 mai, les urnes ont été mises en sécurité dans les consulats. Mais cette situation inédite a jeté de fait une grande suspicion sur le résultat futur du scrutin : certains électeurs sont persuadés qu’ils sont face à une manœuvre destinée à organiser la fraude. Ils font donc le choix de boycotter l'élection.
Mais certains s'abstiennent pour d'autres raisons ?
Effectivement. Nous faisons également face à des citoyens algériens qui justifient leur abstention volontaire par la situation politique en Algérie. Ils préfèrent rester spectateurs passifs à attendre que leur démocratie tombe du ciel, persuadés même que l’abstention est un acte hautement héroïque ! Et puis, il y a cette blessure qui a été infligée à nos binationaux. L'article 51 qui a été ajouté à la constitution récemment exclut les binationaux des responsabilités en Algérie. Et ça, certains le vivent très mal et on peut les comprendre.
Les binationaux sont aujourd'hui électeurs mais pas éligibles à certaines hautes fonctions. Ce qui a eu pour effet de creuser la fracture entre la communauté binationale de France et l’espace politique algérien d’autant que sur les 19 listes candidates en zone 1, 16 d’entre–elles le sont au nom de parti politique qui ont voté l’exclusion des binationaux. Les électrices et les électeurs ont donc un peu l’impression qu’on insulte leur intelligence en leur disant « Votez pour nous, pour qu’on puisse voter contre vous ».
Cela vous déçoit-il ?
Bien évidemment que je suis déçue. Je suis surtout triste que notre communauté ne mesure pas l’enjeu politique de ces élections, peu importe la vision qu'elle a de la démocratie algérienne et leurs préjugés sur la politique algérienne. Après la constitutionnalisation de la discrimination des binationaux, nous avons là pourtant une occasion unique de sanctionner massivement les 16 partis politiques qui forment la majorité parlementaire et qui ont voté pour notre exclusion et notre sous-citoyenneté.
Au lieu de cela, en refusant d’aller voter, nous allons les conforter dans leur volonté de nous marginaliser. Nous validons ainsi les discours des partis politiques algériens qui considèrent que nous ne faisons pas partie de la nation.
Quelle incidence peut avoir un faible taux de participation pour les Algériens de France ?
L’équation est simple, on ne vote pas, on n’existe pas, on ne revendique pas et on laisse les autres faire de nous ce qu’ils veulent. Les discussions enflammées sur les réseaux sociaux ou dans les cafés ne serviront qu’à se faire plaisir mais certainement pas à faire avancer la démocratie et encore moins à influer sur l’absence de vision que les dirigeants politiques algériens peuvent avoir sur la communauté.
Si l’Etat algérien se persuade que nous ne sommes plus intéressés par notre appartenance citoyenne à la nation algérienne, il n’y a aucune raison pour que lui s’implique dans la défense de nos intérêts en France. Et des tas de dossiers importants comme la retraite complémentaire de nos anciens, le changement de statut de nos étudiants, la circulation des enfants mineurs… vont tomber dans les oubliettes. Finalement s’abstenir ne sert ni la cause démocratique ni notre communauté dans son ensemble.
Comment faire pour que les Algériens s’intéressent à nouveau à la politique algérienne ?
En faisant le choix d’une liste indépendante hors de tout intérêt partisan et en permettant à la société civile d’avoir un vrai relais politique à l’Assemblée. J’ai voulu donner aux Algériens qui vivent en France l’opportunité de ne pas laisser faire sans eux. S’intéresser à la politique algérienne c’est se donner la possibilité d’exprimer officiellement son opinion et surtout d’être le socle de celle ou celui qui est votre porte-voix. Lorsque j’ai lancé le débat sur l’article 51, il y a eu une forte mobilisation des Algériens dans le monde. Faute d’arriver à l’abrogation totale de cet article, la mobilisation a quand même permis de réduire drastiquement la liste des fonctions dont nous sommes exclus. Nous nous sommes donc intéressés à la politique algérienne et nous avons fait de la politique.
Nous devons continuer à nous mobiliser y compris sur d’autres sujets. Est-ce que nous nous désintéressons de la qualité de vie de nos familles qui vivent en Algérie ? Et même si l’Algérie reste juste une destination de vacances ne voulons nous pas un système de santé de qualité au cas où nous tomberions malades pendant les vacances ? Ne voulons nous pas des routes praticables et sécurisées ? Si c'est le cas, ils doivent alors s'intéresser à la politique de leur pays d'origine.
Propos recueillis par Nadir Dendoune