Dominique Vidal : » Face à la politique israélienne de plus en plus extrémiste, nous n’avons pas d’autre choix que de soutenir le boycott »
Lancée par la société civile palestinienne en 2005, le mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) contre la politique israélienne d’occupation et de colonisation rencontre un écho grandissant à travers le monde. L'appel initial de BDS invitait "à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d'investissement contre Israël semblables à ceux appliqués à l'Afrique du Sud à l'époque de l'Apartheid".
Dominique Vidal est journaliste et historien, spécialiste du Proche-Orient. A l'heure où en France, des groupes de pression pro-israéliens tentent de criminaliser les appels au boycott, où l'impact que pourrait avoir BDS est pris très au sérieux par le gouvernement de Netanyahou, Dominique Vidal nous offre un éclairage utile.
LCDA. On entend parler de plus en plus de BDS. Connait-on son impact réel ?
C'est difficile de chiffrer exactement les résultats de BDS, mais on peut dire sans hésiter que cette campagne est en pleine expansion. Tous les ans, des branches BDS sont créées dans d'autres pays. Ce mouvement, créé en 2005 par la société civile palestinienne, inquiète de plus en plus les autorités israéliennes.
Il y a 5 ans, Netanyahou ne faisait jamais référence à BDS : aujourd'hui, il en parle comme d’une "menace stratégique majeure pour Israël". Une commission spéciale gouvernementale pour lutter contre BDS a été mise en place, dotée de dizaines de millions de dollars.
En mars 2017, le Parlement israélien a adopté une loi visant à empêcher l'entrée sur le territoire de ressortissants étrangers qui appellent au boycott. Yair Lapid, l'ancien ministre israélien des Finances, a même avoué qu'au rythme où vont les choses, dans quelques années, BDS coûtera à l'État d'Israël entre 3 et 4 milliards d'euros par an !
LCDA. Justement, on parle rarement des victoires de BDS…
Effectivement et ce n'est pas anodin. Ne pas parler des victoires de BDS permet de minimiser son impact. Parmi elles, on pourrait citer par exemple le fonds de pension norvégien, l'un des plus gros du monde ou la Danske Bank, plus grande banque danoise, qui ont décidé tous les deux de se retirer d’Israël. Il y a aussi ces compagnies françaises, comme Veolia qui devait s'occuper de construire le tramway à Jérusalem et qui a fini sous la pression de BDS à quitter ce projet. Ou Orange, dont le partenaire israélien Partner, qui couvrait la Cisjordanie occupée et qui a décidé de rompre ce contrat. Tous les ans, des artistes de renom refusent d'aller se produire en Israël.
LCDA. En France, certains disent que l'appel au boycott des produits israéliens est illégal…
C'est faux ! Pour qu'il devienne illégal, il faut une loi qui l'interdise et, à ce jour, il n'y a pas de loi.
LCDA. Mais il y a bien une tentative de criminaliser les appels au boycott ?
Oui. Il y a d'abord la circulaire "Alliot Marie" de février 2010 dans laquelle l'ancienne ministre de la Justice demande aux parquets d'assurer une "répression ferme" contre les militants pro-boycott. Une circulaire qu'aucun ministre de la justice, Christiane Taubira y compris, n'a souhaité supprimer.
Il y a ensuite la décision de la Cour de cassation en octobre 2015, qui a confirmé la condamnation à des dommages et intérêts et une amende de 14 personnes qui avaient appelé au boycott des produits israéliens dans un supermarché de Colmar. Mais je le répète : ce n'est pas illégal en France d'appeler au boycott des produits israéliens.
LCDA. D'ailleurs, les avocats des "boycotteurs" condamnés devant la Cour de cassation ont décidé de faire appel de cette décision devant la Cour européenne des droits de l'homme…
Effectivement. La Cour européenne des droits de l'homme est la juridiction suprême : c'est elle qui statuera définitivement sur cette affaire. Je précise, même si cela n'augure pas de la décision finale, que la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a répété à plusieurs reprises que "l’Union européenne protège fermement la liberté d’expression et la liberté d’association, conformément à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui est applicable sur les territoires des États membres de l’UE, y compris en ce qui concerne les actions du BDS menées sur ces territoires". On peut donc espérer une issue favorable pour les militants BDS.
LCDA : Pour vous BDS est le seul moyen, aujourd'hui, d'obliger Israël à respecter le droit international ?
Oui. Depuis la mort de Rabin (NDLR : le 4 novembre 1995, le Premier ministre Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste juif en quittant un rassemblement pour la paix à Tel-Aviv), le processus de paix est au point mort. Aujourd'hui, face à la politique israélienne de plus en plus extrémiste, qui menace de passer de la colonisation à l'annexion, nous n'avons pas d'autre choix que de soutenir BDS. Il se pourrait ainsi que dans quelques années, Israël soit mis au ban des nations, comme ce fut le cas pour l'Afrique du Sud au temps de l'apartheid.
Propos recueillis par Nadir Dendoune