Djihadisme : 1880 individus sont suivis par la DGSI
Du 21 au 25 mars, le Courrier de l’Atlas est invité par le Quai d’Orsay à rencontrer divers organismes de l’Etat français impliqués dans la lutte contre le terrorisme et la radicalisation. L’une de ces structures est la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), placée sous l’autorité du Premier ministre, et qui a remplacé la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (MILS). Son président Serge Blisko nous a livré quelques nouvelles statistiques en exclusivité.
Créée en 2002, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires est une institution qui a considérablement évolué au fil du temps, du point de vue de l’objet de son étude. Employant une quinzaine de fonctionnaires travaillant en étroite relation avec le ministère de l’Intérieur, la mission a en effet dû s’adapter à son époque au fil des années, en passant d’un focus sur la scientologie au début des années 2000 à une quasi focalisation sur la menace djihadiste aujourd’hui.
La mission a pour rôle d'observer et d'analyser le phénomène des dérives sectaires, d'informer le public sur les risques qu'elles représentent et de coordonner l'action préventive et répressive des pouvoirs publics.
Elle agit néanmoins dans le cadre de la loi de 1905 sur la laïcité, et doit œuvrer dans le respect des libertés individuelles et des croyances, ce qui lui complique parfois la tâche.
La mission forme systématiquement les hauts fonctionnaires de l’Etat, dont la totalité du personnel des préfectures, aux concepts clés permettant de mieux cerner certaines nouvelles réalités : « intégrisme, wahhabisme, djihadisme… nous entendons souvent ces mots dans les médias mais sans la définition précise requise pour les comprendre », nous explique-t-on au sein de la mission.
Son président Serge Blisko qui nous recevait dans le 7ème arrondissement de Paris affirme que la nouvelle génération de jihadistes consiste en une population jeune, le plus souvent inconnue des services de police et de justice, d’où la nécessité pour son organisme d’agir en amont, via divers mécanismes permettant de détecter en amont diverses phases de radicalisation.
« La plupart sont encore en phase bleue, explique-t-il, ce qui veut dire qu’ils n’ont ni le projet, ni l’intention de passer à l’acte, mais commencent néanmoins à vouloir agir sur leur entourage immédiat ». Cela se fait notamment via des réflexes takfiristes à propos de choses a priori aussi triviales que le régime alimentaire ou l’apparence vestimentaire. Pour cette phase, ils ne font pas l’objet d’une « fiche S ».
Des statistiques mises à jour le 9 février 2016
« Internet a joué un rôle considérable », explique Blisko. Les derniers chiffres en date indiquent une progression exponentielle du nombre d’individus suivis par la DGSI pour leur implication dans des filières djihadistes. Depuis le 1er janvier 2014, leur nombre global est passé de 655 à 1880, soit une augmentation de 203%.
Les signalements pour radicalisation ont atteint quant à eux 8250 entre mars 2014 et janvier 2016.
On estime qu’entre 600 et 800 personnes de nationalité française sont actuellement présentes en Syrie et en Irak, dont 206 femmes et 17 mineurs combattants. 236 sont revenus en France, mais 755 ont formulé un projet de départ. 180 sont morts dans des zones de combat dont 11 dans des opérations suicides. Une centaine sont actuellement en transit vers la zone de conflit, via la Tchétchénie, l’Afrique du Nord, l’Europe de l’Est, la Turquie, etc.
Contrairement au modèle anglo-saxon qui entretient une relation dite décomplexée vis-à-vis des communautarismes, l’Etat français rechigne à nouer des liens institutionnels avec les imams. En Tunisie, premier pays fournisseur de candidats au djihad, la mise en avant par les autorités de l’ancien régime d’imams pro pouvoir dans les mosquées a été particulièrement impopulaire, explique Romain Caillet, chercheur spécialiste des mouvements djihadistes, au point d’inciter davantage de jeunes à une rupture avec « le système ».
Seif Soudani