Deux écrivains maghrébins couronnés par l’Académie française
L'Académie française a récompensé jeudi les écrivains Hédi Kaddour et Boualem Sansal, faisant le choix audacieux de deux écrivains originaires du Maghreb qui incarnent la vitalité de la francophonie. Les deux écrivains l'ont emporté au 4e tour avec 11 voix chacun, contre une voix pour Agnès Desarthe en lice avec "Ce Coeur changeant" (L'Olivier).
Rarissime récompense partagée
Ce n’est que la troisième fois depuis la création du grand prix du roman en 1915, que l'Académie française renonce à départager deux candidats. "C'est un prix fabuleux", a réagi Boualem Sansal (66 ans), souriant. "Ce n'est pas un prix commercial", s'est-il félicité en insistant: "C'est l'Académie française!"."Ça pose son auteur", a-t-il dit en souriant.
Algérien francophone, Boualem Sansal, auteur de "2084" (Gallimard) a longtemps fait figure de favori des prix littéraires d'automne. Il fut dans toutes les sélections (Goncourt, Renaudot, Femina, Medicis). Il ne demeure aujourd'hui en lice que pour le Femina et l'Interallié.
Deux natifs du sud de la Méditerranée
Né à Tunis il y a 70 ans, d'un père tunisien et d'une mère française, Hédi Kaddour, auteur du roman "Les Prépondérants" (Gallimard) est toujours en course pour le Goncourt, dont les finalistes ont été annoncés en Tunisie le 27 octobre. Il est également en lice pour le Femina et le Medicis. Il avait déjà reçu lundi le prix Jean-Freustié.
Beaucoup plus réservé que Boualem Sansal, il s'est excusé en expliquant être "quelqu’un de lent, de réfléchi". Dans son discours de remerciement, il a dit être "persuadé que la langue française a besoin d’oeuvres qui l'illustrent".
"Il y a au creux même de l'exercice de notre langue des choses qui tendent à se dégrader. Notre rôle d'écrivain est de travailler à l'usage esthétique de la langue écrite. Nous travaillons dans l'ombre, et de temps en temps, une institution prestigieuse vient mettre en lumière ce que nous faisons", a-t-il souligné.
Deux succès de librairie
Depuis leur sortie, fin août, les deux romans connaissent un succès populaire. "2084", sous-titré "la fin du monde", dénonce la menace islamiste en situant son action dans un État religieux fanatique. Il a été vendu à plus de 100 000 exemplaires. L'académicien Jean-Christophe Rufin a salué "l'audace de Boualem Sansal" qui "attaque un sujet brûlant d'actualité, une contre-utopie qui se situe dans la filiation d'Orwell". Dans ce livre, a poursuivi M. Rufin, "on fait l'expérience d'un totalitarisme à base religieuse. Dans cette forme de théocratie, on n'impose pas aux gens de croire, mais les rituels autour de la religion ne laissent plus la possibilité de penser".
L'académicien Frédéric Vitoux a salué de son côté "l'ampleur romanesque" d'Hédi Kaddour, qui "brasse dans une histoire et une géographie données une masse de personnages savoureux et foisonnants dont les destins s'entrecroisent, et qui éclairent notre époque". C'est la chronique d'un monde en train de sombrer que donne à voir Hédi Kaddour dans "Les Prépondérants", roman haletant et fresque implacable d'une société coloniale figée des années 1920 en Afrique du Nord.
Comptant parmi les quatre finalistes du Goncourt, le Franco-Tunisien pourrait devenir le troisième écrivain à recevoir la même année le grand prix du roman de l'Académie française et le Goncourt.
Rached Cherif