Des chibanis découvrent avec bonheur la colocation

 Des chibanis découvrent avec bonheur la colocation

De gauche à droite


 


D’habitude, la colocation est plutôt un truc destiné aux jeunes. Ali, 72 ans, Amara 70 ans, et Youssef, 63 ans, trois « chibanis », qui ne se connaissaient pas avant d’emménager, vivent pourtant ensemble depuis presque deux ans dans un F5 situé dans le quartier de la Goutte d’Or, dans le 18ème arrondissement de Paris. 


 


« Nous sommes devenus très amis », avoue ravi Youssef, un Tunisien de 63 ans, ancien boucher, retraité depuis un an maintenant. Cette cohabitation heureuse et inhabituelle, a été rendue possible d’abord grâce à l’association Ayyem Zamen.


Fin mai 2014, elle lance « Domiciles Partagés ». Une action qui a pour but de faire sortir des immigrés âgés des chambres minuscules des foyers, des meublés au mois, voire de l'errance. L’appartement où vivent Ali, Amara et Youssef est le quatrième du genre à Paris. Il en existe deux autres dans le 20ème et un dans le 19ème. Le dispositif est excellent. Les chibanis, qui vivent souvent dans des foyers insalubres, quand ils sont relogés se retrouvent alors seuls. La colocation permet de maintenir les liens sociaux tissés entre eux durant toutes ces années où ils ont partagé la promiscuité mais aussi, pour la plupart, l'amitié.


L’association Ayyem Zamen présente alors son projet à la mairie de Paris. « Nous avons tout de suite trouvé l’idée très bonne», explique Ian Brossat, maire adjoint chargé au logement. « Nous avions déjà avec Paris Habitat, le premier bailleur social de la ville, changer un peu les règles d’attribution pour les grands logements sociaux qui sont normalement réservés aux familles. Comme nous avions commencé à développer la colocation pour les étudiants et les jeunes travailleurs, nous avons étendu le dispositif aux chibanis », continue l’élu.


Après un divorce en 2011, Amara, papa d’un garçon, boucher de formation, errait d’habitation en d’habitation. « Je dormais chez des amis un mois, puis chez un autre. C’était pas évident », reconnaît ce Malien, arrivé en France au milieu des années 70. C’est en préparant son dossier de retraite qu’il fait la connaissance d’Ayyem Zamen. « L’assistante sociale de l’association m’a proposé alors une colocation : j’ai tout de suite accepté et je ne le regrette pas », sourit Amara.


Ali, lui, a longtemps vécu en foyer, dans de minuscules chambres. « Quand je rentre le soir, au moins, je suis chez moi », lance-t-il les yeux qui brillent. « Avec Amara et Youssef, on s’entend très bien. On discute, on rigole. On partage tout. Ça évite surtout la solitude », détaille encore cet Algérien qui a travaillé toute sa vie dans le bâtiment.


Youssef, lui, après avoir été logé chez son patron quand il travaillait en tant que boucher, s’est retrouvé dans des chambres de bonne. Cette cohabitation a été une bénédiction pour lui. « On a même une chambre supplémentaire si on veut héberger un ami ou un membre de notre famille en vacances », ajoute-t-il fier.


« Ce dispositif cherche avant tout la stabilisation de vieux migrants qui ont de grandes difficultés à se loger confortablement», explique Moncef Labidi, président d’Ayyem Zamen. « Il leur permet aussi de finir leurs jours dans de meilleurs conditions, entourés et accompagnés », continue-t-il.


« Des règles de vie ont été élaborées avec les colocataires. Un travail autour du voisinage a également été effectué : une lettre expliquant le projet a été glissée dans les boites aux lettres des voisins », détaille encore Moncef Labidi.


Une conseillère en économie sociale et familiale gère pour l’association le quotidien des chibanis, les aide à réfléchir à un projet de vie : renouer les liens avec la famille restée pour l’immense majorité dans le pays d’origine afin de l'associer aux décisions importantes, comme l’hospitalisation, la perte d'autonomie. Le cas échéant, s’ils ont pour projet de revenir au pays.


Les chibanis versent alors un loyer à l’association, locataire de l’appartement. « Un peu moins cher que son coût réel »,précise Moncef Labidi. Grâce aux aides, Ali, Amara et Youssef paient effectivement 220 euros chacun par mois. Pour un F5 dans ce quartier, il faut compter environ 1000 euros. « Ce qui leur permet de vivre décemment, eux qui touchent de faibles retraites », précise Moncef Labidi.


L'association espère pouvoir ouvrir d'autres "domiciles partagés" à destination des chibanis. La ville de Paris pense sérieusement à étendre ce dispositif pour toutes les personnes âgées, quelques soient leurs origines….


Nadir Dendoune