Déchéance de nationalité : « Cette loi divisera les Français entre eux », Laurent Jamet, élu communiste à Bagnolet

 Déchéance de nationalité : « Cette loi divisera les Français entre eux », Laurent Jamet, élu communiste à Bagnolet

Laurent Jamet


 


Après la décision surprenante de François Hollande d'inscrire dans la Constitution la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France et condamnés pour terrorisme, les critiques à gauche ne se sont pas faites attendre. Même au sein du PS, certains se sont insurgés. 


 


Alexis Bachelay, député socialiste des Hauts-de-Seine, a promis « qu’il ne voterait pas ce texte quoi qu’il arrive ». « Aujourd'hui, je vois une nouvelle blessure infligée à nos valeurs », a lancé de son côté la coprésidente des députés écologistes et ancienne ministre Cécile Duflot. Laurent Jamet est élu communiste à Bagnolet (93). Pour lui le choix d’Hollande est clairement « une infamie ». Il nous explique pourquoi. 


 


LCDL : Vous semblez être assez en colère ? 


Laurent Jamet : Oui, et il y a de quoi. Jusqu’au dernier moment, je pensais qu’Hollande reculerait et que la raison l’emporterait. Ce projet de loi est une infamie. Croire qu’on peut lutter efficacement contre le terrorisme en enlevant la nationalité aux binationaux nés en France est non seulement absurde, mais elle est surtout dangereuse parce qu’elle ouvre la boîte de pandore et qu’on ne sait jamais quand on la refermera. De plus, elle divise les Français entre eux et dans la République, on ne peut pas avoir de sous-citoyens. Ce projet est donc contraire aux valeurs de gauche. 


 


Même au sein du PS, des voix s’élèvent contre ce projet et pourtant l’exécutif ne lâche pas. Comment l’expliquez-vous ? 


Depuis quelques temps, Hollande est pressé par une partie de sa majorité qui le pousse à être encore plus à droite. Il y a aussi les derniers résultats des élections régionales qui ont vu une poussée significative du Front national… Les idées réactionnaires progressent dans notre pays tandis que les valeurs de gauche reculent. Avec cette décision, Hollande fait clairement entrer une proposition phare du FN au plus niveau de l’Etat. Et c’est très grave. Les choses peuvent encore évoluer dans le bon sens. J’aurais aimé, par exemple, que Taubira qui avait déclaré il y a quelques jours l’abandon de ce projet ne se renie pas aujourd’hui. J’aimerais aussi que certains de nos camarades socialistes, et j’en connais, qui prônent d’autres valeurs, s’opposent clairement à ce projet scandaleux. 


 


Cette loi a-t-elle des chances de passer ?


Il faut les 3/5 des votes du parlement. Les élus Front de gauche voteront tous contre, mais ils ne sont qu’une poignée. Il y a de fortes chances qu’elle passe, puisque la droite et l’extrême droite voteront pour, ainsi que l’aile la plus à droite au PS, majoritaire à l’Assemblée. 


 


Peut-on lutter contre le terrorisme sans flirter avec les « idées de droite, voire d’extrême droite » ? 


Bien sûr. Même s’il faut une réponse policière parce qu'on ne peut pas laisser la population de ce pays se débrouiller seule face aux terroristes, il faut en apporter d’autres. La France doit donc cesser d'entretenir des liens forts avec des pays qui ont financé ceux qui nous attaquent aujourd’hui. Il faudrait aussi soutenir les Kurdes et dénoncer le rôle trouble de la Turquie. Mettre fin aux politiques internationales désastreuses. Les gouvernements successifs ont mené des guerres qui ont eu pour effet d'attiser des haines. 


Pour certains, le Front de gauche a perdu de sa crédibilité quand ses députés ont voté la prolongation de l’état d’urgence… Il fallait une réponse policière au lendemain des attentats. La situation a évolué et on a pu voir aussi que l’état d’urgence dans certains cas permettait de légaliser l’arbitraire. Aujourd’hui, je crois donc qu’il est grand temps d’y mettre un terme. Dans une démocratie, on ne peut pas vivre éternellement en état d’urgence.


Propos recueillis par Nadir Dendoune