Condamné pour contrôles au faciès, l’Etat se pourvoit en cassation
Pour la première fois, le mercredi 24 juin 2015 la cour d’appel de Paris avait condamné l’Etat français pour « faute lourde » dans cinq cas de « contrôle au faciès » et s’était vu ordonner de verser 1 500 euros de dommages et intérêts aux intéressés. On pouvait croire à un jugement définitif mais le Premier ministre Manuel Valls a décidé, contre l'avis de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, de contester la condamnation : l'Etat se pourvoit donc en cassation.
L'histoire judiciaire commence en juillet 2013. Déboutées en première instance, treize personnes (originaires du Maghreb et d'Afrique subsharienne), dénonçant des discriminations lors de contrôles de police « au faciès » avaient interjeté appel, le 25 février 2015, pour demander réparation. Toutes avaient décrit des contrôles abusifs, parfois associés à des palpations ou à des manques de respect comme le tutoiement ou des marques de familiarité. Pour cinq d’entre eux, la cour a jugé que ces contrôles n’étaient « pas justifiés », qu’ils « étaient bien discriminatoires ».
Agées de 18 à 35 ans, étudiantes ou salariées et sans casier judiciaire, ces personnes ont fait l’objet de vérifications d’identité à répétition alors qu’elles vaquaient à des occupations ordinaires comme, par exemple, marcher dans la rue. Selon elles, ces contrôles se baseraient essentiellement sur des critères « de race ».
Pourtant, comme l’avait rappelé leur avocat Me de Belloy, « la règle » veut que les contrôles d’identité, encadrés par l’article 78-2 du code de procédure pénale, soient motivés par un « comportement qui éveillerait la suspicion ». Les autres situations — une réquisition du procureur pour une infraction donnée et des contrôles « préventifs » en cas de troubles à l’ordre publics — sont censées être des « exceptions
Une étude menée en 2009 par deux chercheurs du CNRS, citée par les parties civiles, avait permis d’établir la réalité statistique de leur expérience. L’observation de 525 contrôles d’identité, en différents endroits de Paris, a montré qu’un Noir et un Arabe ont respectivement 6,2 fois et 7,7 fois plus de risques de se faire contrôler qu’un Blanc.
La « lutte contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité » était l’un des 60 engagements de la campagne de François Hollande. Dans cette optique, Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, avait assuré en juin 2012 que seraient mis en place des récépissés, que les policiers seraient obligés de délivrer aux personnes dont ils contrôlent l’identité. La mesure avait finalement été abandonnée par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, dès l’été 2012. On comprend mieux alors pourquoi le Premier ministre a décidé de contester la condamnation rendue en appel …
Nadir Dendoune