« Ce n’est pas un hasard si de plus en plus de frères commettent des attentats ensemble », Elyamine Settoul, maître de conférences
Elyamine Settoul est maitre de conférences au C.N.A.M. Il travaille depuis quelques années sur les phénomènes de radicalisation. Il a observé dernièrement que les actes de terreur qui ensanglantent les villes occidentales comptent de plus en plus de fratries. Pour lui, il ne s'agit pas d'un hasard. Pour le Courrier de l'Atlas, il a accepté de nous expliquer pourquoi.
Vous avez observé que de plus en plus de frères commettent des actes terroristes ensemble ?
Oui. La liste s'allonge. Il y a eu les frères Merah, Kouachi, Abaaoud, Abdeslam, Belhoucine en France, El Bakraoui en Belgique, Tsarnaev aux Etats-Unis, etc. Si on ajoute à ces exemples tous ces frères qui sont partis rejoindre les rangs de l’État islamique, le phénomène est tel qu'on se doit d'y prêter une plus grande attention.
Il y aurait donc selon vous des raisons qui expliqueraient ce phénomène ?
Effectivement. Ce n'est pas un hasard si de plus en plus de frères commettent des attentats ensemble. On est beaucoup plus déterminé quand on combat aux côtés de proches. Face à l’adversité, être lié affectivement permet de se donner du courage. Cela fortifie la motivation individuelle et renforce la cohésion des groupes.
Est-ce un phénomène nouveau ?
Non, cela a toujours existé. Dès l'Antiquité, les armées ont utilisé ces liens affectifs comme élément de cohésion. Par exemple, à l’époque de la Grèce antique, il y avait le "Bataillon sacré". Composé exclusivement de couples d’hommes homosexuels, il était l'un des escadrons les plus respectés, connu pour son ardeur au combat.
Aujourd'hui, l'armée utilise-t-elle toujours les mêmes ressorts ?
Oui. Il y a quelques années, j'ai fait une thèse sur les militaires issus de l'immigration. Cela m'a permis d'observer de plus près les programmes d’instruction militaire. Ces derniers ont pour objectif de développer ce sentiment de camaraderie et de solidarité parmi les soldats. Par exemple, l'armée organise des fêtes, des dîners, favorise la tenue de rites communs, afin que les militaires aient le sentiment d'appartenir solidairement à la même communauté, qu'ils deviennent des frères d’armes. On appelle ça aussi l'esprit de corps. On créé une ambiance familiale afin de générer une solidarité qui sera stratégique au moment des combats.
Vous avez observé qu'avant d'être djihadiste, certains terroristes avaient été attirés par l'armée…
Oui, peu relevé par les spécialistes, le nombre de djihadistes ayant approché ou embrassé le métier des armes est pourtant frappant. Ainsi, avant de commettre ses attaques à Toulouse en juillet 2010, Mohamed Merah avait tenté de s’engager au sein de la Légion étrangère. De même, les témoignages relatifs au parcours d’Hasna Ait Boulahcen, proche des terroristes des attentats du 13 novembre dernier, rapportent qu’elle souhaitait vivement s’enrôler au sein des armées françaises.
D’autres ont franchi le cap. Ainsi Lionel Dumont, ex-membre du gang de Roubaix (1996), avait effectué son service militaire au 4e Régiment d’infanterie marine de Fréjus. Il partit par la suite à Djibouti avec le 5e Régiment interarmes d’outre-mer pour participer à l'intervention multinationale de l'ONU en Somalie dans le cadre de l'intervention humanitaire française Oryx (1992-1993). Et il y a d'autres exemples qu'on pourrait citer.
Comment l'expliquez-vous ?
Si on veut comprendre ce qu’il se joue ici, il faut voir les dénominateurs communs entre le jihad et l’engagement militaire. On a dans les deux cas la possibilité d’être acteur de sa vie, d’assouvir sa quête d’adrénaline, une envie d’action ou d’aventure. Les deux sphères communiquent beaucoup en insistant sur la dimension héroïque de l’activité guerrière. En observant cela, on s’éloigne des grilles explicatives qui fondent le jihad sur une lecture purement religieuse. Le jihad de Daesh est un supermarché qui a pris pour slogan celui de Mac Donalds « Venez comme vous êtes ». Ils ont fait comprendre aux jeunes qu’ils trouveraient tout ce dont ils ont besoin : faire de l’humanitaire, trouver de l’action, de l’adrénaline, une famille, le paradis, l’amour…C’est très tentant pour des jeunes qui n’ont rien à perdre…
Quels avantages les groupes terroristes trouvent-ils à recruter des fratries ?
Comme je l'ai dit plus haut, on est plus soudé quand on a des liens fraternels. On vit ensemble, on meurt ensemble. S'ils se font arrêter, rares sont les frères qui balancent leur propre frère. Il est plus difficile pour les services de renseignement de détecter leurs projets d'attentats. Par exemple, les frères n'ont pas besoin d'utiliser le téléphone ou les messageries pour se contacter afin de mettre en place leurs projets terroristes. Tout se passe dans la confiance.
Vous dites aussi que parfois, il n'y a pas que "l'idéologie" qui pousse les gens à aller se battre…
Effectivement. Dans certains cas, l'idéologie est secondaire. Au XXe siècle, des sociologues américains tels que Morris Janowitz et Edward Shils ont mis en lumière l’importance primordiale de la camaraderie et de la fraternité dans la cohésion interne des groupes. Ces auteurs ont notamment théorisé l’idée selon laquelle, plus que le partage d’une idéologie commune, c’est la camaraderie et la confiance mutuelle qui constituent le principal ressort des groupes de combat. Voilà aussi pourquoi, il est difficile pour les services de renseignement de détecter les projets d'attentats.
Propos recueillis par Nadir Dendoune