Caricatounsi 3 : Omrane Cartoonist à l’honneur

 Caricatounsi 3 : Omrane Cartoonist à l’honneur

Tawfiq Omrane


 


Un an après les attentats de Charlie Hebdo, l'image et le travail des caricaturistes à travers le monde a bien changé. C'est à Paris, dans ce contexte de mémoire, que la troisième édition du festival Caricatounsi aura lieu à la Fondation de la Maison de la Tunisie. 


 


Pour cette édition, ce sera le caricaturiste tunisien Tawfiq Omrane, connu sous le pseudo d'Omrane Cartoonist, qui sera à l'honneur avec une exposition de ses créations. L'occasion de revenir avec lui sur son parcours et sur le métier de caricaturiste. Entretien.


 


LCDL : Vous êtes invité pour cette troisième édition de Caricatounsi à Paris, est-ce que c'est important pour vous de valoriser le travail des caricaturistes tunisiens ?


Tawfiq Omrane : Il y a d’autres caricaturistes tunisiens qui ont été invités par Caricatounsi dans les éditions précédentes ; chacun de nous peut, de son côté, valoriser le travail de caricaturiste tunisien, vu les différents styles sur le plan, fond et forme. Je me classe caricaturiste politique ; d’autres travaillent dans le social mais tout le monde se rencontre sur la même plage : le paysage de la caricature tunisienne qui est en train de vivre son boom après la révolution.


 


Un an après les attentats de Paris (Charlie Hebdo), l'image et le travail des caricaturistes y compris le votre, a-t-il été impacté par ces événements ?


Oui, ça a beaucoup d’influence sur notre travail de caricaturistes. Nous sommes tous dans le même bain… Français, Tunisiens, Camerounais ou Thaïlandais, nous sommes la cible des intégristes religieux et politiques. On parle beaucoup du harcèlement imposé par les religieux, mais on oublie celui des politiciens. Ils sont plus « soft » certes, mais ils jouent le même rôle sale, la censure. Le grand problème qu’envisage le caricaturiste est l’autocensure ; nous sommes en train la vivre en Tunisie.


En apprenant l’attentat de Paris, je me suis dit « Tiens, le terrorisme regagne l’autre rive de la Méditerranée. Personne n’est à l’abri. » J’ai fait des dessins de soutien à cette occasion, mais je ne pouvais pas être très violent… Les islamistes en Tunisie peuvent faire de mauvaises interprétations.


En Tunisie, avant la révolution on pouvait tout critiquer sauf le président et sa famille. Après la révolution, on peut tout critiquer sauf la religion. C’est un changement de poste, si vous voulez.


 


Vous travailliez pour des journaux avant l'arrivée au pouvoir de Ben Ali, en 2011 vous vous y êtes remis. Pour quelles raisons était-il impossible de caricaturer sous Ben Ali ?


J’ai commencé la caricature à l’âge de 19 ans. J’étais étudiant. J’ai fait le tour des journaux de l’opposition et ceux indépendants. C’était l’ère Bourguiba. En 1986, ces journaux disparaissent ; donc j’ai arrêté de dessiner. A l’époque (1986/87) Ben Ali commence à s’emparer du pouvoir et sa première cible était les journaux d’opinion. J’ai choisi de démissionner et m’orienter vers l’édition.


On ne pouvait pas caricaturer Ben Ali et sa famille car un politicien noyé dans la corruption se méfie toujours de la liberté d’expression. Le conflit entre la dictature et les médias libres est une guerre de vie ou de mort. L’un des deux doit gagner. Ben Ali a gagné.


Avec Bourguiba nous avions une petite marge de liberté ; c’est comme une paille ; on peut un peu respirer. Avec Ben Ali c’est l’étouffement total. Malheureusement beaucoup de journaux ont sympathisé avec Ben Ali et ont donné un coup sur le dos de leurs collègues. Mon retour fut après la révolution (2011) pour intégrer la radio alternative « Kalima » et le journal « Sawt Achaab », organe du parti ouvrier tunisien.


 


Selon vous quelles différences existe-t-il entre votre travail dans les années 80 et le travail que vous effectuez aujourd'hui dans une Tunisie postrévolutionnaire ?


Beaucoup de différences. Aux années 80 j’étais jeune, amateur et  la marge de liberté était limitée. Maintenant, J’ai plus de maturité technique et culturelle et la marge de liberté est plus large. Certes, il y a parfois des contraintes quand on aborde des sujets tabous comme la religion et le sexe, mais généralement le terrain est fertile pour démontrer ses capacités. Les événements politiques, sécuritaires, économiques et sociaux en Tunisie sont très « riches » ; cela nous aide à trouver des idées percutantes. Je ne peux que dire à mes collègues « à vos plumes ».


 


Aujourd'hui vous travaillez beaucoup avec des magazines français. Pourquoi maintenant ? Et était-ce une nécessité ?


En réalité, pas beaucoup…  Je travaille pour le journal mensuel « CQFD » édité à Marseille. C’est un journal alternatif qui me plait beaucoup. J’y trouve mon profil de gauchiste. Ainsi que le site web « The Dissident », un magazine dissident au vrai sens du terme. J’y ai trouvé des amis avec qui je partage la même idéologie. Quelques dessins ont été publiés dans le journal Le Monde ou France24 via « Cartooning For Peace ». Un magazine web suisse « 7 info » m’achète parfois des dessins pour illustrer des dossiers politiques.


Je suis un peu exigent ; avant de collaborer avec un journal ou magazine je cherche toujours le profil. Il faut qu’il y ait un minimum de « consensuel ». Une autre chose, en Tunisie, la caricature n’est pas encore à son top. Les journaux papier ou en ligne ne lui donnent pas beaucoup d’importance, à part quelques-uns. Donc, je suis obligé de chercher à dessiner ailleurs.


 


Avez-vous une façon différente de travailler selon que le magazine pour lequel vous travailliez soit français ou tunisien ?


Que le magazine soit français ou tunisien, pour moi c’est la même chose. C’est le même support. C’est une occasion pour moi de m’exprimer. Mon défaut, peut-être, est que mes caricatures sont très « tunisiennes ». Je travaille rarement sur l’arabe ou l’international. Je suis un caricaturiste « local ».


Mais, pour me racheter, j’ai fait en mars 2015 une exposition (30 tableaux) avec un seul thème : « Anti-mondialisation »… C’est une façon de dire que je dessine aussi la corruption à l’échelle mondiale.


 


Propos recueillis par F. Duhamel