« Avec l’état d’urgence, celle qui a perdu, c’est la démocratie »

 « Avec l’état d’urgence, celle qui a perdu, c’est la démocratie »

Manifestation à Paris contre l’état d’urgence adopté par le gouvernement français. CITIZENSIDE/GEORGES DARMON / CITIZENSIDE.COM / AFP


 


Après les organisations de jeunesse, au tour des associations et syndicats de dénoncer le virage sécuritaire pris par le gouvernement.


 


Place de la République. A la bourse du travail, ce jeudi, plusieurs associations (DAL, MRAP, comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie…) et syndicats (CGT, syndicat de la magistrature…) ont tenu une conférence de presse pour dénoncer les mesures prises par le gouvernement.


« Nous sommes très inquiets de la possibilité donnée de vivre dans un état d’urgence permanent avec des pouvoirs de police renforcés qui mettent à mal le fonctionnement démocratique de notre pays » déclare en introduction Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL (droit au logement).


Dénoncé par les organisations de jeunesse en début de semaine, l’état d’urgence et les mesures sécuritaires à tout-va voulus par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme agacent et inquiètent. « L’état d’urgence qui devrait viser uniquement les terroristes vise aussi les mouvements sociaux » s’agace le porte-parole du DAL.


Un point de vue partagé par Mathilde Zylberberg, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature, «  on a l’impression que ce n’est pas contre le terrorisme que l’Etat lutte mais contre toute forme de protestation ». Pour le syndicat de la magistrature, les mesures prises par le gouvernement n’étaient pas nécessaires. « Hors état d’urgence, l’Etat n’est pas impuissant face au terrorisme, il a des solutions. Les perquisitions sont possibles, même de nuit, autorisées par le juge des libertés et de la détention. Les gardes à vue, en cas de risque de terrorisme peuvent aller jusqu’à 144 heures ».


Peu importe, le gouvernement a préféré répondre par l’état d’urgence, un dispositif d’exception ajouté durant la guerre d’Algérie. Un bon moyen de tout légitimer, « les dérapages des perquisitions administratives, les dérapages des assignations à résidence ».


Une situation de crise qui contraste avec le reste selon Patrick Picard, secrétaire général de la CGT à Paris, « les centres commerciaux sont ouverts, les marchés de Noël aussi, les évènements sportifs se tiennent, les salles de spectacle se remplissent. Comment peut-on considérer qu’il faut continuer à interdire l’expression démocratique du mouvement social, syndical et politique ? ».


Une « répression sécuritaire qui va alimenter et renforcer ce que veulent les terroristes, une société qui se replie sur elle-même » annonce Olivier Besancenot.


 


« Le FN est aussi dangereux que le terrorisme »


Premières victimes de cette politique, les musulmans et Français d’origine étrangère. Le retour au premier plan de la déchéance de nationalité fait grincer des dents Mohamed Bensaid du comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie. « Ca déstabilise une génération de Français nés en France, qui ne connaissent que la France et comme ils ont eu la chance ou la malchance d’avoir un ascendant étranger, ils vont se faire renvoyer dans un pays qu’ils ne connaissent pas ».


Une stigmatisation qui touche de plein fouet les migrants devenus « terroristes » pour beaucoup de Français. Un raisonnement stupide que démonte Patrick Picard, « le 13 novembre, on a subi ce que ces migrants subissaient au quotidien. Au lieu de les accueillir et de les aider, on les stigmatise ».


Rappelons que les musulmans sont les premières victimes de Daech à l’échelle mondiale.


Au MRAP on regrette l’absence de travail de fond, « on ne pose pas la question du "pourquoi ont-ils basculés" ? N’est-ce pas la déshérence sociale de quartiers laissés à l’abandon, du manque de perspective pour ces jeunes, de l’échec scolaire » avant d’enfoncer le clou, « quand la police entre dans un appartement supposé terroriste, tout simplement car ils sont musulmans. Qu’ils enfoncent la porte, alors que les personnes sont là, qu’ils mettent la famille à genoux devant des adolescents et qu’après ces jeunes nous disent, « j’ai la haine », je crois qu’on peut le comprendre ».


Bien décidés à continuer à se faire entendre, associations et syndicats pointent du doigt le danger numéro un, celui de voir le FN surfer sur cette vague pour devenir le premier parti de France. « On ne parle pas de ce danger là pour la démocratie, pour le vivre ensemble, qui est pourtant aussi dangereux que le terrorisme ».


Si personne ne conteste la nécessité de lutter contre le terrorisme, tous souhaitent que le gouvernement le fasse d’une manière intelligente et démocratique, « les forces de police s’épuisent. Il faut donner plus de moyens à la police d’enquête, aux renseignements, à tous les acteurs de la lutte contre le terrorisme » réclame Mathilde Zylberberg qui conclut, « le choix du gouvernement et du parlement nous conduit à un état d’urgence permanent, sans aucune assurance d’efficacité mais avec la certitude que celle qui a perdu, c’est la démocratie ».


 


Jonathan Ardines