France/Algérie. Tebboune ira-t-il vraiment en France ?
Nous autres journalistes, savons par expérience qu’une sortie médiatique d’un grand responsable quel qu’il soit est toujours porteuse d’un message « à qui de droit ». A qui s’adresse donc Emmanuel Macron lorsqu’il accorde un entretien à l’écrivain algérien Kamel Daoud dans l’hebdomadaire Le Point ? Et quel est le message distillé ?
En réalité, il n’y a rien à décrypter, le président de la République française n’a pas utilisé d’allusions ou de mots voilés, il a été on ne peut plus clair : « Je n’ai pas à demander pardon, ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens », a estimé Macron qui a précisé ensuite « le pire serait de conclure, on s’excuse et chacun reprend son chemin ». Ainsi, le destinataire est bien le régime algérien à travers son premier représentant qui est le président Tebboune et le message concerne la question des excuses mémorielles. Au cœur de la relation bilatérale et d’une tension éternelle récurrentes entre les deux pays, cette question avait fait l’objet d’un rapport de l’historien français Benjamin Stora qui avait exclu déjà toute « repentance » et « excuses ».
Dans ce rapport, Benjamin Stora avait notamment proposé des « initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoire », avec des actes symboliques ne coûtant rien à l’Hexagone, comme celui de restituer à l’Algérie l’épée d’Abdelkader ou encore de faire entrer l’avocate anticolonialiste Gisèle Halimi, décédée le 28 juillet 2020, au Panthéon qui accueille les héros de l’histoire de France. Pourquoi alors le président français s’est-il senti obligé de faire une sortie qui vient fracasser ce semblant de lune de miel avec le régime algérien après sa visite à Alger l’automne dernier ?
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A cela, deux raisons essentielles, la première est d’ordre interne à l’Élysée et la seconde concerne la situation politique en Algérie. Au lendemain de l’interview de Macron dans les colonnes du Point, Abdelmadjid Tebboune s’est d’ailleurs empressé d’appeler au téléphone son homologue français pour tâter le pouls de la présidence française. En bon diplomate, Emmanuel Macron lui a réitéré son invitation pour programmer la visite d’Etat du président algérien en France « pour le mois de mai prochain ».
La fébrilité du chef d’État algérien à s’enquérir des intentions du président français ne peut s’expliquer que parce que le soutien français reste la seule garantie pour Tebboune de rester au pouvoir après 2023. La démarche de Tebboune étant motivée par la peur d’être abandonné par Emmanuel Macron au moment où les généraux algériens, véritables détenteurs du pouvoir à Alger avaient émis auprès de Paris, leur souhait de remplacer Tebboune, devenu trop gênant après avoir été mêlé aux répressions sauvages qui ont frappé le hirak algérien. Une peur confirmée par la tribune de l’ex-ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt, parue dans Le Figaro du 8 janvier.
Outrepassant son devoir de réserve, l’ex-diplomate n’avait pas pris de gants pour dénoncer la décision de Macron de se rendre à Alger dans une diatribe au titre évocateur « L’Algérie s’effondre, entraînera-t-elle la France dans sa chute ? », la tribune de l’ex-ambassadeur à Alger (deux fois : 2008-2012 et 2017-2020) expliquant que « le régime avait montré son vrai visage : celui d’un système militaire (formé, on l’oublie, aux méthodes de l’ex-URSS), brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil qui est en train de s’effondrer sous nos yeux et qu’elle entraîne la France dans sa chute, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n’avait fait chuter, en 1958, la IVe République ».
Selon nos informations, au lendemain de la publication de ce texte, tout le gotha du pouvoir algérien, gradés, services secrets en présence de Tebboune s’était réuni en catastrophe au Palais présidentiel d’El-Mouradia pour trouver une réponse pour comprendre les dessous de la dernière sortie de l’ancien ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt.
Sachant que Xavier Driencourt reste branché avec le Quai d’Orsay et bénéficie toujours de soutien fort au sein de la DGSE, on peut facilement en conclure que Macron s’est fait taper sur les doigts après avoir manifesté trop d’enthousiasme à miser sur un Tebboune et une nomenklatura algérienne dont plus personne ne peut prédire l’avenir tant le régime est décrié, autant à l’intérieur qu’au niveau international.
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