Football – Nayef Aguerd : Forte tête
A 24 ans, le défenseur marocain Nayef Aguerd s’affirme au Stade Rennais, avec qui il dispute la Ligue des champions. Une nouvelle étape dans une progression mûrement réfléchie.
Ce n’est pas la première qualité que l’on demande à un défenseur, mais elle permet à quelques forçats des arrière-gardes de se donner un bref bain de lumière, avant de retourner exécuter leurs basses œuvres dans leur propre surface. A l’instar d’un Sergio Ramos, le Marocain Nayef Aguerd est un défenseur buteur.
Arrivé au Stade Rennais en toute fin de préparation, au mois d’août, l’ex du FUS Rabat a ainsi déjà fait trembler les filets par trois fois en Ligue 1, cette saison, dont deux buts de la tête. Une efficacité qui fait même du défenseur central, le co-meilleur buteur du club breton. Mais quand on interroge ceux qui l’ont connu, ce n’est pas le jeu de tête d’Aguerd qu’ils mettent instinctivement en avant, mais plutôt de ce qui se passe à l’intérieur à celle-ci.
« Là-haut, ça va très vite, comme le formule Hervé Renard, l’ex-sélectionneur des Lions de l’Atlas, et c’est d’ailleurs sa première qualité ». « C’est un joueur extrêmement intelligent » abonde Nasser Larguet, l’ex-directeur technique national du Maroc, qui lui avait fait intégrer l’Académie Mohamed VI dès ses 12 ans, après l’avoir repéré lors d’un tournoi dans la banlieue de Rabat.
La progression du défenseur est d’ailleurs celle d’un joueur réfléchi, qui ne brûle pas d’étapes, comme un élève studieux passe son bac – qu’Aguerd a obtenu avec mention – sans faire d’impasses.
En 2014, après l’Académie Mohamed VI, c’est ainsi au FUS Rabat que le gaucher part terminer sa formation et débuter sa carrière, même si les Espagnols de Valence étaient intéressés par ses services.
Dans un des rares clubs stables du royaume, Aguerd sera cornaqué par l’ex-défenseur des Lions de l’Atlas, Walid Regragui, pour qui miser sur de jeunes éléments tient lieu de politique. Aguerd ne pouvait pas mieux tomber : il s’épanouit, inscrit son premier but en championnat dès ses 18 ans, porte même le brassard de capitaine et contribue au premier titre du champion du Maroc remporté par le FUS, en 2016.
« Il n’avait que 20 ans et sa saison avait été remarquable », se souvient Hervé Renard qui le fait alors débuter avec les Lions de l’Atlas. Le saut vers l’Europe ne se fera toutefois que deux ans plus tard, après avoir notamment remporté le Championnat d’Afrique des nations de football (ndlr : réservé aux footballeurs qui évoluent en Afrique), à domicile.
« Cette expérience l’a fait grandir, estime Fouad Chafik, le latéral franco-marocain de Dijon, où Aguerd a fait ses débuts en Europe en 2018, car comme la compétition se jouait au Maroc il y avait énormément de pression ». Quand il débarque en Côte d’Or sous les conseils de … Regragui, ancien du club, le gaucher est toutefois bien « frêle », dixit Chafik, pour faire le poids dans les duels musclés de Ligue 1.
Mais l’échalas d’1,88 m va rapidement se remplumer pour parvenir à se faire une place dans le onze titulaire. « Il a gagné en puissance, indique son ex-coéquipier, c’était son grand axe de progrès, car techniquement il a toujours été au-dessus ».
Doué de la tête, au sens figuré comme au sens propre, c’est, en effet, avant tout avec ses pieds qu’Aguerd se distingue sur la ligne défensive. Son allure est élégante, ses passes variées et précises. « Du gauche il a une force incroyable, admire Chafik, il peut allonger sans forcer ». « En fait, Nayef était un numéro 10, indique Nasser Larguet, je l’ai d’ailleurs détecté à ce poste ».
L’actuel directeur du centre de formation de l’Olympique de Marseille explique la mue du joueur, où là encore, il est question d’intelligence pour celui qui avait même envisagé des études à la faculté avant que ses obligations de footballeur ne le fassent renoncer.
« Après coup, je lui ai demandé : « Explique-moi comment tu es passé de numéro 10 à défenseur central ? », confie Larguet, et il m’a répondu : « Mais coach, moi à l’époque je voyais qu’il y avait beaucoup de milieux de terrain qui étaient très bons. Je me suis dit que si je voulais m’en sortir un jour, il fallait que je découvre un autre poste »».
Lors de ses premières années de carrière, le jeu de l’ex-milieu n’a d’ailleurs sans doute pas souffert par hasard « d’un déficit d’agressivité », dixit Hervé Renard. « Mais il a remédié à cela une fois en Ligue 1, poursuit l’actuel sélectionneur de l’Arabie saoudite, en fait, Nayef ne cesse de progresser car il est à l’écoute et a une grande capacité à assimiler l’information ».
Au Stade Rennais, Aguerd a dû apprendre rapidement. Le lendemain de son arrivée au club, c’est ainsi en titulaire qu’il débutait le dernier match amical du Stade Rennais, à Nice (2-3), et qu’il inscrivait son premier but.
A se fier à son CV, sa réussite dans un club qui joue la Coupe d’Europe n’avait toutefois rien d’une évidence alors qu’il n’avait disputé que 25 matches en deux saison de Ligue 1 à Dijon, un club qui lutte chaque année pour son maintien.
« En fait, il a surtout été freiné par les blessures, renseigne Chafik, et pour moi depuis qu’il est à Rennes il a déjà franchi un nouveau palier ». La pression de jouer les premiers rôles en Ligue 1 et de découvrir la Ligue des champions aurait toutefois pu l’inhiber.
« Nayef arrive à beaucoup relativiser et cela lui permet de jouer libéré, poursuit son ex-coéquipier dijonnais, détenteur d’un master en économie du sport et du tourisme, son enfance n’a pas été facile et il est conscient de sa chance incroyable d’être footballeur professionnel».
Dans le vestiaire, celui qui maîtrise quatre langues (arabe, français, anglais, espagnol) s’est aussi rapidement intégré. Car derrière l’élève appliqué, il y a un « vrai ambianceur et un grand rigolo », dixit Chafik. Un bon vivant aussi, amateur de cuisine française et indienne.
Ses bonnes performances en Rouge et Noir ont logiquement permis à Nayef Aguerd de retrouver les Lions de l’Atlas au mois d’octobre, même si une blessure lui a fait quitter le stage prématurément.
Le gaucher n’avait pas été retenu depuis des matches éliminatoires pour la CAN en septembre 2018, quelques semaines après une Coupe du Monde à laquelle il n’avait pas participé. « En fait, ça c’est joué à rien, rappelle Hervé Renard, mais j’avais Romain Saïss comme titulaire indiscutable, et Yunis Abdelhamid, un autre défenseur gaucher qui sortait d’une saison extraordinaire avec Reims ».
Aujourd’hui, le joueur de Rennes, un club où il succède à d’autres anciens Lions, comme Houssaine Anafal – un ami de son père – Youssef Rossi, ou Youssouf Hadji, a tout pour devenir un régulier des listes de Vahid Halilhodzic. Pour ses qualités de défenseur mais aussi pour son âme de leader.
« Crier, engueuler, ça ne le dérange pas, assure Chafik, il n’a d’ailleurs pas été capitaine pour rien au FUS, malgré son jeune âge ». « J’aime commander ma défense et aller à la guerre », avoue l’intéressé, qui n’a que 24 ans. Un âge où on apprend encore, comme par exemple à mieux gérer les espaces dans son dos, mais où l’on s’affirme déjà.
« Nayef a déjà gagné en efficacité depuis qu’il est arrivé à Rennes, estime d’ailleurs Hervé Renard, et aujourd’hui on se demande simplement où va s’arrêter sa progression, mais lui a toujours eu envie d’aller très haut ». En avançant avec la tête.