Figuig : Imbroglio et ultimatum sur des frontières mal définies
L’ultimatum de l’armée algérienne demandant de quitter les terres d’Al Arja, près de Figuig avant le 18 mars 2021, a ravivé les souvenirs de récupérations de terres dans les années 70, notamment celles de Ksar Zenaga. Une situation qui met en colère des familles de paysans marocains ! Depuis plus de 50 ans, ils cultivent une palmeraie sans aucune intervention des autorités marocaines ou algériennes. En France comme au Maroc, les associations se mobilisent pour demander une issue à ce conflit transfrontalier.
L’émotion est présente dans la voix de Mostafa Serhir. Membre fondateur de la Fédération des associations de Figuig en France, le président de l’association Hassaniya pour la Culture et le Développement en France est choqué par la soudaineté de la décision. « Ces terres appartiennent aux tribus de Ksar Ouled Slimane. Ils ont des documents datant de 1930. On hérite ici d’une malfaçon de la France sur les frontières entre le Maroc et l’Algérie. Des familles ont investi toutes leurs vies là bas. C’est scandaleux ! »
Le choc est d’autant plus incompréhensible que les familles y habitent et cultivent la terre depuis plus de 50 ans. Ni l’Algérie, ni le Maroc n’ont jamais trouvé à redire à cette situation héritée du passé colonial. Sur place, les manifestations et grèves générales s’enchaînent. De son côté, le ministère de l’intérieur Marocain qualifie dans un communiqué que la décision prise par l’armée algérienne est « provisoire et conjoncturelle ». Les membres mécontents de la communauté de Figuig en France se mobilisent. Ils lancent une pétition qui réunit déjà 4200 personnes. Ils demandent aussi une prise en compte de leurs investissements sur place et appellent à des manifestations « pacifistes mais déterminées ».
>>Lire aussi : Figuig : La palmeraie millénaire “défigurée” par une route goudronnée
Des frontières mal définies en 1972
» Au départ, la « vraie » frontière suivait le tracé de la ligne de chemin de fer entre Béchar, Beni Ounif et Figuig, explique Mostafa Serhir. Mais, en 1962, la France a fait du troc. Les frontières ont ensuite été définies par les montagnes. Puis, peu à peu, on crée une zone tampon entre les montagnes et l’oued et entre les deux pays. Il était difficile de distinguer qui était marocain ou algérien. Jusqu’à maintenant, il y a toujours des Marocains en Algérie et le contraire est vrai aussi. »
En effet, en 1972, le Maroc et l’Algérie parviennent à sceller une convention relative au tracé frontalier. Il est alors indiqué que la frontière se situe entre les territoires des deux pays, notamment de « l’oued sans nom ». Mohammed Jebbouri est un citoyen de Figuig et président de l’association AFAQ. Il revient pour nous sur la géographie des lieux. « Cette zone est à 4 kilomètres de Figuig. Au sud de cette région, la frontière est déterminée par la crête des montagnes entre Beni ounif et Figuig. Dans le nord de Figuig, la délimitation est l’oued Al Arja. Chaque bord de l’oued appartient à un pays. Historiquement, ces terres appartiennent aux ancêtres des habitants de Figuig. »
Sur place, les habitants disent ne pas avoir été informés de l’accord de 1972. Certains d’entre eux ont planté jusqu’à 1500 palmiers sur les berges de l’oued. En 1992, dans le bulletin officiel marocain, l’accord ne définit pas nommément le site.
>>Lire aussi : Le roi Mohammed VI met fin au calvaire de 13 familles syriennes bloquées à la frontière algéro-marocaine
« Nous payons les tensions à Guerguerat »
Or, ce n’est pas la première fois que la région doit faire face à cet imbroglio sur le tracé frontalier. Dans les années 70, les terres à proximité de Ksar Zenaga sont « récupérées » par les Algériens. Il en est de même pour Ksar Loudaghir. « C’est déjà arrivé par le passé, précise Mohammed Jebbouri. Les propriétaires n’ont jamais été rétribués. A l’époque, c’était en réaction de la Marche Verte. Aujourd’hui, nous payons les tensions à Guerguerat. »
Le préjudice est important. On parle d’une superficie de près de 100 hectares en longueur, qui comprend entre 20 à 30000 palmiers sur place. Ceux-ci fournissent des dattes premium, dont le prix sur le marché est évalué à 150 dhs le kilo (12 euros, ndlr). Certains parlent de plusieurs millions d’euros de pertes. « Ce n’est pas l’argent qui compte pour moi, indique ému Mostafa Serhir. C’est le manque de reconnaissance humaine de ces personnes qui ont travaillé toute leur vie. Nous les Figuigiens, n’avons pas de valeur sous la terre. Notre richesse est au dessus. Ce sont les hommes et les femmes qui vivent pour entretenir la prospérité et la paix. Nous avons rien et avons réussi à survivre à Figuig grâce à la solidarité humaine. »
Depuis l’annonce, des manifestations se tiennent sur place avec des appels à la grève générale. Les mots d’ordre sont calmes. Comme nous le précise Mostafa Serhir, « les habitants de Figuig sont patriotes et se reconnaissent comme Marocains à part entière. Chaque grain de sable des terres de Figuig, c’est le sang qui coule dans les veines de chaque habitant de la région. Ils sont pacifiques mais restent déterminés. »
>>Lire aussi : En Algérie, une course déclarée vers l’armement
Une question de droit avant tout
Après le choc de l’annonce, les fermiers ont du plier bagages. Ils se retrouvent pour la plupart sans le sou. Les palmiers ne peuvent être déterrés et sont considérés comme perdus. Pour Mostafa Serhir, une compensation est nécessaire de la part de l’Etat marocain. » Je ne cesse de pleurer. On a l’impression d’être oublié. Bien sûr, on comprend la décision mais il faut rétribuer les gens qui ont investi sur place. J’espère que c’est provisoire mais à quoi ca va servir si on doit repartir de zéro. Je me demande qui va gérer ces palmiers en Algérie. Un arbre, c’est comme un enfant. Il faut s’en occuper. On préfère quitter la terre et éviter une guerre. »
>>Lire aussi : Sahara. L’ONU demande au polisario de quitter Guerguerat
L’Etat Marocain temporise
A Rabat, on se veut rassurant. Le ministère de l’intérieur indique que la décision de l’armée algérienne est « provisoire et conjoncturelle ». Un provisoire qui peut durer comme s’en souviennent les plus anciens. Pour Mohammed Jebbouri, deux problèmes viennent s’ancrer dans la réalité du terrain. « D’un côté, il y a le juridique. De l’autre, le politique. L’accord de 1972 prévoyait que dans cette zone, les Algériens possédant des terres côté marocain ou des Marocains possédant des terres en Algérie, ne soient pas expropriés. En effet, ils avaient la possibilité de les cultiver, selon les lois du pays en vigueur. Le problème de fond, c’est que depuis 1991, les frontières sont fermées entre les deux pays. Cela a des conséquences sur place. »
Sur le terrain, des avions algériens survolent la zone. La tension reste élevée. Par conséquent, les habitants de Figuig demandent des réparations au Royaume mais aussi un respect du droit international. « Pour moi, la France a sa part de responsabilités dans la situation, précise Mostafa Serhir. Il faut qu’elle ne se désiste pas. C’est une table à trois qu’il nous faut pour sortir de ce dossier. Notre cas pourra être le même au Mali, en Tunisie ou ailleurs. Sans un traçage clair, il n’y aura pas de paix réel. »