Fête du trône : Mohammed VI comme vous ne l’avez jamais connu
Face à l’adversité, certains faiblissent. D’autres angoissent pour garder la tête hors de l’eau. Bien des chefs d’état n’ont pas résisté aux tsunamis de l’actualité, dont la crise en Ukraine, n’est que l’aboutissement de la décennie noire. Pourtant, la résilience et la résistance d’un royaume qui consolide sa souveraineté au fil des ans étonne même les pires ennemis du Maroc. Depuis plus de vingt ans, le roi Mohammed VI accompagne nos vies.
Le storytelling permanent de l’exercice de son pouvoir est désormais ancré dans l’imaginaire de chaque marocain. Nous autres journalistes avons aujourd’hui le privilège d’observer les faits et gestes d’un personnage à la pudeur légendaire, d’une intelligence impénétrable, cette force tranquille face à l’adversité. Parler du roi, c’est forcément remonter le temps et y déceler, comme chez Proust les strates successives de l’exercice du pouvoir.
La fête du trône est pour certains l’occasion d’égrener d’une voix monotone les réalisations les plus marquantes de la monarchie mais, cela peut être aussi le prétexte avoué de réfléchir justement à l’originalité de cet exercice du pouvoir, à interroger l’incontestable popularité dont jouit le personnage et pas seulement auprès des marocains, de décortiquer ce charisme porté autant par la vertu du changement que par le souci de rester dans la continuité.
Le Maroc de Mohammed VI n’est pas celui d’Hassan II
La fonction de monarque est immuable mais chaque tenant du titre manie le sceptre avec un style qui lui est propre. « Lui, c’est lui et moi, c’est moi » déclarait Mohammed VI à qui voulait bien l’entendre au lendemain de la disparition de Hassan II. A ceux qui ne savaient pas trop à qui ils auront désormais affaire, le nouveau maître des lieux va exercer le pouvoir selon son style et ses idées. Si on pouvait qualifier le personnage, on dirait qu’il s’agit d’un traditionnaliste qui aime le changement.
Pas de changement dans les fondamentaux, c’est toujours le chef de l’état qui décide de tout, celui dont dépend notre avenir, qui incarne l’image du Maroc aux yeux de l’étranger mais la continuité s’arrête là, le Maroc de Mohammed VI n’est pas celui de Hassan II. Dès le départ, le roi sait que la course contre le sablier a déjà commencé, le royaume n’est pas encore sorti de « la crise cardiaque » et les démons du passé menacent toujours de rejaillir. Incarner la verticalité, l’autorité n’empêche pas cette horizontalité qui se traduit par une capacité d’empathie avec ceux d’en bas que ce soit sur le plan économique ou au niveau des droits de l’homme. On a assez glosé sur la dynamique de l’Instance Equité et Réconciliation qui a permis de solder avec succès les conséquences fâcheuses des années de plomb pour revenir sur le sujet.
Depuis, et vingt ans après, bien d’eau a coulé sous les ponts et le Royaume a traversé des turbulences auxquelles bien des nations n’ont pas résisté. La société marocaine est assurément très complexe et si les changements en matière de mœurs, de société d’idées, d’organisations, de communications sont bien réels, en matière de pouvoir, il a bien fallu gagner des positions fortes dans l’opinion publique. Comment le monarque a-t-il réussi à tisser un vrai lien fondé sur le respect avec les marocains ?
Il faut interroger la capacité de Mohammed VI à guider le pays vers un horizon que seule une vision solennelle aurait pu assurer la transition et, disons-le franchement, éviter les soubresauts, qui auraient secoué inutilement le peuple marocain, qui avait déjà fort à faire avec une crise économique et sociale chronique. Il faut dire que Mohammed VI colle bien à sa fonction : efficace, direct sans aucun appétit pour la démagogie, l’homme réalise des choses inouïes dans un contexte calamiteux. Sa notoriété et son influence mondiale ne viennent pas de rien. Il propose et dispose en même temps et c’est là un grand avantage pour un chef d’état, peu soucieux de gérer les sautes d’humeur d’un électorat inconstant. Écouté, il est aussi une force de proposition pour bien des chefs d’état étrangers fatigués de reproduire leurs échecs à l’identique. Des hommes politiques contraints de constater que l’heure n’est plus aux destinées individuelles flatteuses mais plutôt à une véritable ambition collective. Ce n’est pas rien de convaincre le voisin espagnol que le Sahara Marocain fait partie des lignes rouges du royaume et qui aurait imaginé une scénarisation aussi méticuleuse de la visite du premier ministre espagnol à Rabat ? Une audience royale décontractée, une rupture du jeûne dans la meilleure tradition marocaine et le tout couronnée par une déclaration conjointe entre Mohammed VI et Pedro Sanchez qui fera date.
Dans un autre registre, qui aurait pensé un jour que les juifs du royaume auraient désormais mille raisons de se sentir bien chez eux au Maroc ? Après la toute récente création de trois instances qui non seulement renforcent la position des Juifs au Maroc, mais qui tend la main également à la troisième et quatrième génération de Juifs marocains à l’étranger. Bien sûr, l’alchimie qui est derrière cet amour inconditionnel des juifs marocains ne date pas d’hier mais aucun roi avant Mohammed VI n’a osé bousculer l’actualité pour consolider envers et contre tous des liens aussi séculaires. Que nous ont apporté les années M6 ?
On pourrait commenter à l’infini les engagements du monarque, ses choix tactiques, sa volonté de polir l’image du Royaume etc.… mais le tri ne saurait être que partial, subjectif. Autant revenir un peu en arrière.
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Épurer le malentendu entre les socialistes et la monarchie
Qu’il y ait eu malentendu entre la gauche et la monarchie, nul besoin d’être grand stratège pour constater que durant tout son règne, Hassan II a eu à gérer les coups de sang de la gauche et pas seulement à cause de la fameuse disparition de Ben Barka. A la limite, si l’on veut suivre avec bienveillance la thèse de ceux qui ont développé cette explication, on peut l’expliquer par la façon dont Mohammed VI a su dépasser ces contingences profondes pour créer un vrai lien avec la gauche. A cette aune, à moins de porter des lunettes noires, il faut reconnaître que rien n’est plus joué d’avance et que les revendications du camp progressiste ont été largement dépassées. Fini les fraudes électorales, exit les manipulations des foules, s’il y a achat des voix, s’il y a clientélisme, c’est la classe politique qu’il faut incriminer parce que toute confrontation électorale qui débouche sur un score quel qu’il soit est respecté à la lettre. Résultat de la course les luttes sont sanglantes, la compétition pour le pouvoir féroce mais au moins le verdict des urnes est roi. Que veut le peuple (de la gauche) ?
L’alternance politique, était sur les rails du moment que la royauté acceptait le vote populaire et que les partis socialistes en acceptant de gouverner avec le palais, faisaient allégeance au roi. Actant ainsi la naissance d’un système subtil où le monarque, chef de l’exécutif, dirige le pays avec un gouvernement issu des urnes. S’il y a encore grisaille, il faut chercher du côté des partis politiques, ce qui fait encore obstacle à l’alternance. Quoiqu’il en soit, contre ce qu’un grand socialiste comme Michel Rocard nommait « l’imbécillité politique collective », cet héritage institutionnel millénaire restera pour tous un précieux garde-fou !
Pour l’anecdote, en tendant la main à une icône du socialisme comme Abderrahmane Youssoufi, le roi a tout simplement montré qu’il est un personnage loyal qui sait prendre de la hauteur. L’intéressé a bien saisi le message et la photo du monarque embrassant la tête de Youssoufi sur son lit d’hôpital a fait le tour du monde. Depuis, le dialogue entre le palais et la gauche n’a jamais été rompu, la preuve en est que le défunt leader de la gauche a bien saisi l’occasion fournie par l’Histoire d’entrer par la grande porte. En témoignent l’amitié, la complicité et l’affection qui liait les deux hommes.
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La tour d’ivoire
Autre cliché qui a fait son temps, le prince retranché dans sa tour d’ivoire ne saurait pas grand-chose des vrais soucis de ses sujets. Certains politologues patentés attendent d’un chef d’état, roi de surcroît qu’il n’ait que des amis, des hommes politiques et des conseillers qui le réconfortent, bref des courtisans qui lui disent que tout va bien dans le meilleur des mondes. Contre toute attente, le chef de l’état ne fréquente pas que des hommes du sérail et si la garde rapprochée du monarque n’apparaît pas dans les radars, c’est tant mieux. Après tout, quelles que soient les avanies que subissent les populations, le monde est assez douloureux comme cela pour perdre son temps à gérer les états d’âme des réseaux sociaux !
Il suffit de voir comment le monarque a géré la crise du Covid pour comprendre qu’il y a bien un commandant aux manettes mais que de plus, le personnage maîtrise si bien son sujet qu’il peut se permettre de décréter un état d’exception sur le champ au moment où les grandes puissances tâtonnaient encore pour savoir quelle attitude adopter face à cet ennemi inédit qu’est le virus du Covid. Si les périodes de grand péril, comme la pandémie, s’apparentent à̀ des périodes d’état de guerre, dans ces cas de péril absolu, au moment où le Royaume était applaudi pour sa réactivité et les résultats palpables qui en découlaient, les nations développées peinaient à trouver une autorité́ qui serait dotée des pleins pouvoirs pour prendre des mesures douloureuses.
Résultat des courses, le royaume a imposé aux marocains des inconvénients temporaires ou encore l’obligation de se vacciner dictés par l’urgence de sauver des vies au moment où les nations développées perdaient un temps précieux à polémiquer sur le sujet. Pour la politique avec des petites phrases, il suffit d’occuper l’espace médiatique mais pour la politique avec de grandes idées, des orientations qui se concrétisent en grands chantiers, en autoroutes bien réelles, en ports défiants toute concurrence, en industrie automobile, il faut de la réflexion et beaucoup de vision. La politique, la vraie, celle qui va changer le quotidien des marocains, n’éloigne pas du réel mais permet au contraire d’y poser un œil lucide et sans préjugés.
Certains meurent de leur vivant pour n’avoir pas compris que le monde changeait et rien n’est plus intéressant à décrire que cette punition que le réel inflige à ceux qui voudraient en permanence lisser les aspérités d’un monde finissant oubliant que le réel rattrape toujours ceux qui le nient.
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La fin de l’impunité
Le royaume se veut le plus républicain des monarchies et ce n’est pas pour rien que c’est le roi lui-même qui a proposé de mettre fin à la sacralité du roi. Dans la nouvelle constitution de 2011, la personne du Roi n’est plus sacrée. C’est le Monarque lui-même qui avait exigé une telle disposition en arguant que la sacralité n’appartenait qu’à Dieu. Si, à l’exemple de tous les chefs d’État, la personne du Roi reste inviolable, la dimension citoyenne de Mohammed VI est ici plus importante et en ôtant aux partisans de la monarchie parlementaire l’un de leurs plus solides arguments, il a ainsi redonné à la monarchie une cure de jouvence.
En attente de cet idéal des vertus démocratiques, s’est établie, désormais entre le monarque et le peuple, une sorte de complicité, unique en son genre. Un peuple qui attend du monarque qu’il dispense la providence, voire les « toujours plus » de la munificence d’État mais qui n’hésite plus à s’adresser au chef de l’état en dernier recours quand l’injustice des puissants est trop forte.
Et sur ce registre-là, c’est peut-être aussi le moment de tordre le cou à de nombreux clichés, ces idées reçues que l’on colle toujours aux us et coutumes du palais comme si un régime qui a plusieurs siècles au compteur n’avait aucune chance de changer. On a beaucoup glosé sur l’impunité de l’entourage, « ces courtisans » qui se remplissent les poches dans un mépris absolu des règles et des lois.
Pourtant, nul besoin d’être dans le secret des dieux pour constater que l’ère de l’impunité est vraiment révolue. Sinon, la presse n’aurait pas osé évoqué l’information selon laquelle « la direction régionale des domaines de l’État a retiré le domaine au conseiller royal qui n’a exploité que huit hectares sur les 40 pour construire l’hôtel Ritz-Carlton. Ce faisant, Yassir Zenagui n’a pas respecté le cahier des charges selon lequel « la totalité de la superficie » du domaine devait être dédiée à la construction du projet hôtelier ». Comme on imagine mal, la direction des domaines de l’État intenter un procès à un conseiller royal pour récupérer tout le domaine, y compris l’hôtel qui devait ouvrir ses portes en 2018. Si la proximité voulait encore signifier quelque chose dans le Maroc d’aujourd’hui, elle aurait joué en faveur des Ilyas Omari et autres Bakkoury et bien d’autres dont les dossiers attendent d’être tirés au clair par la justice.
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La commanderie des croyants
Grâce aux rituels et aux symboles de la fonction, tout monarque de surcroît « commandeur des croyants » n’a qu’à se laisser bercer par la cadence de son cheval rompu à la parade. C’est mal connaître le personnage. En redonnant de la valeur au rituel et au sacré, Mohammed VI répond ainsi à l’attente d’authenticité dans l’exercice du pouvoir spirituel. Il éprouve régulièrement ce lien de confiance en déléguant ce soft power à ses émissaires qui battent le pavé dans les capitales africaines pour initier nombre de clercs à l’Islam Marocain dont le rayonnement dépasse désormais les frontières du continent noir. Face à « l’affolement du monde » comme le décrit l’historien Thomas Gomart, le chef d’état a toujours caressé l’ambition de convaincre plutôt que de contraindre.
Pour faire répondre au défi permanent qui nourrit les divisions entre les tenants d’une même religion, attisant les rancœurs et les rancunes des écoles de pensée, le roi a choisi une voie médiane, celle du soufisme.
Pour assécher les eaux stagnantes du wahhabisme qui véhicule une idéologie mortifère issue d’une fausse interprétation des textes sacrés de l’Islam, le roi a eu le génie de tendre la main aux salafistes en chef de la mouvance radicale dont un bon nombre sont devenus eux-mêmes les défenseurs et les ambassadeurs zélés de cette spiritualité apaisée.
Alors « tout va bien madame la marquise ? » Bien sûr que non ! En vérité, les citoyens ne sont toujours pas convaincus de la nécessité de s’engager à l’exercice d’une réelle participation démocratique, l’absentéisme électoral, professionnel, scolaire, l’incivisme, l’indifférence, le discrédit de la classe politique, l’ignorance des lois renforcée par les ravages de la corruption, le goût répandu pour le « moindre effort », le clientélisme, si le peuple est le premier responsable de ces défaillances, elles traduisent aussi l’échec des corps intermédiaires.
Mais devant cette paresse démocratique, notre régime monarchique, garde néanmoins une appréciable capacité de rebond comme il conserve à la nation une voix audible et respectable parmi le concert des nations.
Préférable en tout cas à l’impéritie somnolente des régimes voisins. Dans les périls extrêmes des crises qui se suivent et ne se ressemblent pas, il a été constaté que la monarchie a joué un rôle privilégié, voire salutaire qui peut concentrer son énergie vers le grand sursaut national. Même si par ailleurs tout le monde a compris que le roi n’exige plus d’être craint, autant qu’il veut être aimé comme l’était son grand-père Mohammed V. Et si le chef de l’état était tout simplement « un homme engagé, au grand cœur » ?
Malgré leur caractère versatile, les Marocains ont toujours soif d’idéal, c’est pour cela qu’ils placent toujours leurs liens avec le premier d’entre eux sur le terrain du cœur. Et ce dernier le leur rend bien. Parce que le pouvoir vient d’en haut et la confiance d’en bas. En politique plus qu’ailleurs, ne reçoit que celui qui donne. L’exercice est loin d’être aisé mais force est de reconnaître que Mohammed VI a bien su utiliser tous les leviers pour faire du Maroc une vraie démocratie, la première démocratie arabe ?