Féminisme en Palestine : le combat continue
Confrontées à une double oppression, coloniale et patriarcale, les Palestiniennes luttent depuis plus de cent ans pour améliorer leurs conditions. Des militantes précoces à la nouvelle génération, un seul slogan : “Pas de patrie libre sans femmes libres”.
Par Marianne Roux
Une nouvelle fois, les Gazaouies doivent affronter la guerre. Une guerre aux conséquences dramatiques puisqu’elles représentent, avec les enfants, 70 % des victimes. Accouchements prématurés dus au stress, césariennes sans anesthésie… l’enclave est devenue un cauchemar pour les 50 000 femmes enceintes. Avec un accès restreint à l’eau et aux sanitaires et sans produits d’hygiène, leur santé physique et mentale est menacée ; certaines sont même contraintes de se raser les cheveux pour éviter des maladies dermatologiques. Des milliers de veuves, sans toit ni ressources, doivent s’occuper de leur famille dans un pays où seules 19 % des femmes travaillent alors qu’elles sont plus diplômées que les hommes.
Malgré plus d’un siècle de combat, les Palestiniennes sont donc toujours en lutte pour mener une vie digne face à une double oppression, coloniale et patriarcale. Comme dans les pays voisins, les regroupements féministes participent dès le début du XXe siècle aux revendications d’indépendance vis-à-vis des puissances coloniales. Au départ, il s’agit d’associations caritatives, créées au sein de la bourgeoisie urbaine chrétienne, pour fournir une éducation aux filles pauvres ou orphelines, et dénuées de visées féministes.
A l’origine de l’activisme politique
Ce n’est qu’en 1929 que se forme l’Association des femmes arabes, lors du premier Congrès des femmes palestiniennes à Jérusalem, événement qui marque l’entrée de celles-ci dans le débat politique national. Cette structure transcommunautaire affiche alors deux objectifs : l’amélioration de la condition des Palestiniennes et le soutien à la lutte nationaliste contre les Britanniques et l’immigration juive croissante depuis la déclaration Balfour en 1917. Si l’action caritative et sociale se poursuit, elle devient désormais assujettie à l’activisme politique.
Le 15 avril 1933, les Palestiniennes organisent une marche à Jérusalem pour protester contre le colonialisme britannique et les colonies juives. Ce jour-là, la militante chrétienne Matiel Mogannam prononce un discours à la mosquée Omar Ibn Al-Khattab, tandis que sa consoeur musulmane, Tarab Abdelhadi, fait une allocution à l’église du Saint-Sépulcre, démontrant ainsi l’unité des communautés.
Alors que l’acquisition des terres agricoles par les immigrés juifs s’accélère, les Palestiniens commencent une grève générale, prélude à la grande révolte de 1936-1939, qui témoigne de la radicalisation de la résistance pour obtenir un Etat indépendant. Ce climat a des conséquences sur l’Association des femmes arabes qui, après la Conférence des femmes de l’Est pour la défense de la Palestine, organisée au Caire en 1938, décide de se scinder : l’Union féministe arabe est créée pour soutenir le nationalisme arabe.
Avec la Nakba (1948) et l’exil forcé, les Palestiniennes exercent au quotidien un rôle primordial, mais peu mis en lumière car jugé ordinaire, historiquement parlant : celui de gardiennes de l’identité nationale et de passeuses de mémoire. Dans la sphère domestique, s’appuyant sur la tradition orale, elles racontent les histoires de leur village et de leur famille de génération en génération et insistent sur le droit au retour sur leur terre. Ces Palestiniennes, de toutes classes sociales et niveaux d’éducation, vont ainsi préserver et transmettre leur culture, de la gastronomie à l’artisanat, au sein d’une diaspora désormais dispersée aux quatre coins du monde.
Des interrogatoires dégradants
A partir des années 1960, elles s’investissent massivement dans la politique. Plusieurs d’entre elles rejoignent le Conseil national palestinien, à l’image de Samiha Khalil, dirigeante de l’association Ina’ash El-Usra et candidate à l’élection présidentielle de 1996, ou encore Yusra Al-Barbari, première femme dotée d’un diplôme universitaire dans la bande de Gaza.
Après la guerre des Six-Jours (1967), elles n’hésitent plus à s’engager dans la lutte armée, à l’instar de Leïla Khaled avec le Front populaire de libération de la Palestine ou May Sayegh qui demandera au Fatah de pouvoir s’entraîner militairement comme les hommes. C’est également à cette période que le service de renseignements israélien commence à utiliser des méthodes d’interrogatoire dégradantes. “Harcèlement, attouchements, menaces de viol et, dans quelques cas rapportés, viols effectifs par l’intermédiaire de bâtons”, souligne la chercheuse Stéphanie Latte Abdallah.
Dans ce sillage, Zahira Kamal fonde la Fédération palestinienne des comités d’action des femmes en 1978. Apparaissent alors des militantes plus radicales, qui concrétisent un féminisme spécifique à la société palestinienne, articulé avec le combat pour la libération nationale. L’arrivée de la première Intifada en 1987 va confirmer la présence des femmes sur les plans social et politique, via les comités féminins populaires. Les Palestiniennes participent à l’insurrection et s’organisent pour contrer les sanctions israéliennes en mettant en place des écoles et des cliniques alternatives, ainsi qu’un circuit parallèle pour les produits alimentaires locaux.
Malgré cette implication, la dégradation du tissu social palestinien accentue les pressions envers les femmes, à l’intérieur des familles et au sein de la société. Parallèlement, la montée de l’Islam politique malmène les revendications féministes, qui n’ont de cesse d’être reléguées au second plan face à la libération du pays. Pour le Hamas, les femmes sont en effet un maillon essentiel de la résistance car elles font naître les futurs martyrs, les réduisant ainsi à leur fonction reproductive.
Forcées d’accoucher aux chekpoints
Avec la seconde Intifada et les premiers attentats suicides perpétrés par des femmes, ces dernières subissent des arrestations massives. La militarisation du conflit s’intensifie et a un impact direct sur les Palestiniennes, qui sont parfois réduites à accoucher aux checkpoints. En 2017, un soldat israélien est arrêté pour le viol d’une Palestinienne et de multiples agressions sexuelles. En 2019, Heba Al-Labadi, détenue arbitrairement, commence une grève de la faim pour dénoncer la torture subie pendant son interrogatoire.
Plus récemment, un vent nouveau souffle sur le féminisme palestinien avec le mouvement Tali’at (“celles qui se lèvent”), formé en réaction au crime d’honneur dont la jeune Israa Gharib a été victime en 2019. Coordonnées via les réseaux sociaux, des manifestations vont essaimer en Palestine et dans la diaspora, pour réclamer le droit des femmes à la sécurité et à occuper l’espace public. Prônant une approche intersectionnelle et incluant les LGBTQI+, Tali’at a été accusé par les milieux conservateurs de “déformer l’image de l’homme palestinien pour servir des intérêts extérieurs”. Les fondatrices font fi de ces accusations et répètent leur slogan : “Pas de patrie libre sans femmes libres.”
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