Saint-Denis. Il se noie en voulant récupérer le ballon d’une fillette
En se jetant dans le Canal de Saint-Denis (93), ce jeudi 14 mai, Jamal, un Algérien de 35 ans, originaire de Tizi Ouzou en Kabylie, voulait juste récupérer un ballon qu'avait fait tomber dans l'eau une petite fille. Ce geste lui a coûté la vie. Jamal est mort noyé. Un hommage est prévu ce dimanche à 21h sur le canal de Saint-Denis (à proximité de Porte de Paris).
Jeudi 14 mai, il est un peu plus de 15h quand Jamal aperçoit un ballon rouge flotter dans le canal de St-Denis, à proximité du Stade de France et du métro Porte de Paris.
Une vingtaine de personnes, dont la majorité sont des réfugiés, dorment dans un camp de fortune situé sur les bords du canal, certains depuis près de cinq ans.
De l'autre côté de la rive, Jamal aperçoit une jeune fille qui demande après son ballon. Il sait nager alors, courageux, il n'hésite pas à sauter dans l'eau.
« A cause du courant, le ballon s'éloignait », raconte Abdel, un ami de Jamal présent lors du drame. « Il a été très vite emporté par le courant et s'est retrouvé en plein milieu du canal », se souvient-il. « A un moment, il n'arrivait plus à avancer et il s’est mis à demander de l’aide en agitant ses bras », embraie de son côté Mourad, lui aussi sur les lieux au moment de la noyade.
Pendant que les uns se saisissent d'une corde, un autre appelle les pompiers. « On a envoyé cette corde à Jamal mais il était beaucoup trop loin pour la saisir » raconte Rachid un autre ami. « Si on avait eu des bouées, on se serait jeté à l'eau », répète-t-il, toujours sous le choc. Le corps de Jamal finit par disparaître sous les profondeurs de l'eau sous les yeux de ses amis.
« Au bout de quinze minutes, les pompiers étaient déjà là », se souvient Abdel. Il leur faudra une heure pour retrouver le corps du jeune homme. Les pompiers remontent l'homme, mais ne parviennent pas à le réanimer. Jamal est déjà mort.
Jamal était marié, il n’avait pas d’enfant. Il vivait depuis un an et demi en France où il avait rejoint une partie de sa famille. Avec la crise sanitaire, Jamal travaillait dans une boite de nuit sans être déclaré par son patron.
Comme beaucoup, à cause du Covid-19, il avait perdu son emploi et son logement. Sans papiers, il n'avait pas le droit au chômage, pas de prime de travail. « C'était quelqu'un de généreux. C'était comme mon fils », lance ému Abdel. « Il voulait juste faire plaisir à cette jeune fille et il est mort pour ça. C'est tellement injuste », lâche de son côté Rachid.
La mort de Jamal a profondément ému à l’intérieur du camp. Certains n’arrivent plus à fermer l’oeil, ou ont perdu l’appétit. Il n'y a que quelques centimètres qui séparent les tentes de l'eau. « Moi aussi, j’aurais pu tomber dans le canal », insiste Mourad.
Ce drame a mis en colère Corinne, bénévole à l'association "Un ciel pour tous" et qui connaissait bien Jamal. « Depuis avril, Jamal est la troisième personne qui meurt noyée dans le canal. Il n'y a rien dans ce mini-camp de fortune. Pas d'eau potable, pas de WC. Depuis plus de deux mois, différents collectifs relaient la parole des exilés et alertent sur leur situation catastrophique. Depuis des mois, nous demandons à la Mairie de Paris de rouvrir les fontaines à eau, à la Ville de Saint-Denis de construire des toilettes sèches », rappelle excédée Corinne.
« L'Etat, les municipalités d’Aubervilliers, de Paris et de Saint-Denis persistent à abandonner des personnes en extrême précarité aux abords du canal Saint-Denis et se renvoient la responsabilité de cette situation », continue la jeune femme. « Tant qu'il y a des associations comme la nôtre ou des citoyens qui leur fournissent à manger et de quoi se nourrir, ils ne font rien », fulmine-t-elle. « Combien de morts va-t-il falloir pour que la situation évolue ?» Interroge Corinne.
Nos tentatives pour joindre Laurent Russier, le maire de Saint-Denis sont restées vaines.