Fact-checking : Pourquoi la tempête Daniel a-t-elle été appelée ainsi ?

 Fact-checking : Pourquoi la tempête Daniel a-t-elle été appelée ainsi ?

Lors d’une réunion ministérielle consacrée à la critique des médias occidentaux et de la ligne éditoriale du journal de la Télévision nationale tunisienne qu’il accuse de complot contre son mandat, le président de la République Kais Saïed s’est livré à une étrange parenthèse complotiste sur les raisons de l’appellation de la tempête Daniel qui a récemment ravagé la Libye voisine.

 

Publiée tard dans la nuit de lundi à mardi par la page officielle du Palais de Carthage, la vidéo montre le président de la République réuni avec le chef du gouvernement, Ahmed Hachani, le ministre de l’Intérieur, Kamel Feki, ainsi que la ministre de la Justice, Leila Jaffel.

« Nous sommes réunis aujourd’hui pour aborder un sujet occulté par les médias supposés être nationaux. Ces médias parlent chaque jour de crises, qui peuvent être réelles comme elles peuvent être le fruit de l’imagination, afin d’envenimer davantage la situation dans le pays. Le Journal de 20h diffusé hier sur la chaîne nationale, a commencé par évoquer la hausse des prix de la rentrée scolaire. Ils ont parlé ensuite des jardins d’enfants, puis de quelques bulletins internationaux, pour finir avec la météo. Comme si les opérations effectuées par les forces sécuritaires et militaires n’avaient pas eu lieu en Tunisie, alors que leurs actions sont sans précédent. Plusieurs réseaux criminels de traite d’êtres humains et de trafic d’organes ont été démantelés. Nous supervisons les unités et les directions régionales pour accomplir leur mission, mais cela n’a aucune trace sur notre chaîne nationale », a-t-il déploré.

Visiblement en précampagne électorale précoce, ce n’est pas la première fois que le chef de l’Etat montre son obsession pour l’agencement des informations du journal télévisé qu’il qualifie de fake news pour certains et qu’il souhaite organiser lui-même pour d’autres. Début août dernier, il a convoqué la PDG de la Télévision nationale qu’il avait nommée à ce poste pour la sermonner publiquement à ce sujet.

 

Un conspirationnisme d’Etat décomplexé

Mais sans crier gare lors de son intervention d’hier où il évoque en vrac toutes sortes de questions décousues, souvent sans lien apparent, le président Saïed s’exclame d’un air hautain :

« Ces médias se sont-ils donc demandés pourquoi cette tempête a été nommée Daniel ? Ils continuent de l’appeler ainsi sans se demander les motivations de ce choix. Il s’agit du nom d’un prophète juif ! Le mouvement sioniste s’est quasiment immiscé dans les esprits, et les intellects sont dans un état de coma total ! Après Abraham, voici Daniel… C’est très clair ! ».

Aussitôt sur les réseaux sociaux hilares, qualifiés d’antisémites pour les uns, moqués par d’autres, ces propos sont placardés en « meme » parcourant la toile. Mais Comment choisit-on au juste le nom d’une tempête ?

En mars 2023, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) avait indiqué que « Farrah » allait remplacer « Fiona », tandis qu’« Idris » prendra la place de « Ian ». L’agence météo de l’ONU estimait alors que la réutilisation de ces deux noms pourrait à l’avenir provoquer la colère des populations à cause des morts et des destructions causés par ces deux ouragans l’année dernière. Exceptionnelle, cette intervention onusienne montre que les intervenants dans la nomenclature des ouragans et tempêtes sont multiples.

C’est en effet le Centre national des ouragans (NHC) qui choisit le nom des tempêtes tropicales, comme le célèbre cyclone Katrina en 2005. Une liste de noms est établie chaque année, pas forcément dans l’ordre alphabétique, et en alternant le nom des hommes et des femmes. Ainsi en Europe, le choix du nom des tempêtes (comme la tempête Joachim en France, en novembre 2011, ou la terrible Xynthia, en 2010) se fait selon un règlement bien plus précis.

Le premier nom d’une tempête européenne avait été choisi par une inconnue. En 1954, une étudiante de l’Université de Berlin, Karla Wege, a proposé de donner un nom aux dépressions et anticyclones qui traversaient l’Europe pour rendre la météo plus accessible au grand public.

« Une tempête est toujours pilotée par une forme de dépression. Donc le nom d’une tempête va correspondre à un nom de dépression », explique Olivier Proust, prévisionniste à Météo France. Depuis 1954 et jusqu’en 2002, l’Institut de Météorologie de l’Université de Berlin établissait une liste pour l’année à venir, en se basant sur la liste établie par Karla Wege.

Si Daniel a provoqué des milliers de morts pour la plupart en Libye, il s’agit en réalité d’un cyclone subtropical méditerranéen qui a touché d’abord l’Europe du Sud-Est, puis le Maghreb et jusqu’au Machrek.

Lors des années impaires, les dépressions reçoivent des noms masculins, et, lors des années paires, des noms féminins. Les anticyclones sont baptisés selon la règle inverse. Ainsi, le prénom masculin Joachim a été choisi en 2011, année impaire. Même chose en 2009 avec la tempête « Klaus » et les tempêtes Lotach et Martin en 1999. La fameuse tempête Xynthia portait ce nom féminin car nous étions en 2010.

Pour les tempêtes, la liste des prénoms est établie en début d’année dans l’ordre alphabétique. Par exemple, la première tempête de 2012, en janvier, était baptisée Andrea. Et pour 2019, la première tempête se nomme Amélie. Pour se faire, la France travaille avec l’Espagne et le Portugal, en partenariat avec les services météorologiques AEMET (Espagne) et IPMA (Portugal), pour définir une liste de prénoms qui respecte un ordre alphabétique, l’alternance des prénoms masculins / féminins et l’alternance de leur pays d’origine. Cette année, la Belgique et le Luxembourg rejoignent cette organisation.

En mai 2023, le président Kais Saïed avait par ailleurs réfuté tout « antisémitisme d’Etat » après l’attaque meurtrière de Djerba commise par un membre de la Garde nationale près de la synagogue de la Ghriba.

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