Migrants : « le sentiment d’un acharnement psychologique »

 Migrants : « le sentiment d’un acharnement psychologique »

Les embarcations secourues sont surchargées : on compte entre 8 et 10 personnes au mètre carré. Crédit photo : Maud Veith.


L’exposition « Ils arrivent pieds nus par la mer », de la photographe Maud Veith, montre la réalité, sans fard, des sauvetages en Méditerranée.


Photos mais également vidéos et installations, l’exposition « Ils arrivent pieds nus par la mer » de la photographe Maud Veith permet de mieux appréhender la réalité du sauvetage en mer Méditerranée. Engagée par SOS Méditerranée à l’occasion de deux missions, Maud Veith revient pour nous sur ses expériences à bord de l’Aquarius. Entretien.


Exposition « Ils arrivent pieds nus par la mer » du 6 février au 4 mars 2019, Mairie du Xe (Paris).


Comment avez-vous été mise en contact avec SOS Méditerranée pour la première fois ?


J'ai lu un texte très marquant d'un marin sauveteur à bord dans les débuts de SOS Méditerranée. Il racontait notamment l'apparition d'une embarcation surchargée, au petit matin, en plein milieu de nulle part. Le jour où j'ai su qu'un photographe  avait annulé son embarquement sur l'Aquarius, j'ai postulé. Il a fallu se décider très vite (10 jours avant) à partir!


Vous avez embarqué à bord de l'Aquarius deux fois, l'une en octobre 2017, l'autre en septembre 2018. Quelles différences avez-vous notées entre ces deux missions ?


Beaucoup de différences. La situation politique a beaucoup changé entre le premier et le deuxième embarquement, l'Italie ayant décidé de fermer ses ports. Cela a une incidence forte sur le temps passé en mer avec les rescapés. En 2017, nous avions mis 2 jours à rejoindre le sud de l'Italie avec 588 passagers. En 2018 nous avons dérivé plus d'une semaine face à Malte en attendant que les Etats ne se décident sur le sort de 58 passagers.


Les sauvetages sont aujourd'hui officiellement coordonnés par les gardes-côtes libyens (gardes-côtes italiens en 2017). La difficulté à obtenir les informations sur les embarcations prenant la mer de Libye et se trouvant en situation de détresse est augmenté, les négociations sont permanentes ainsi que les menaces à récupérer les passagers des embarcations qui viennent de fuir la Libye. C'est une pression énorme à gérer pour les équipes des bateaux de sauvetage et le risque est constant pour ceux qui prennent la mer.


Arrivés à terre, les rescapés sont aujourd'hui dispersés entre plusieurs pays d'Europe, ils ne choisissent pas leur pays d'arrivée et certains Etats mettent du temps avant de sortir ces personnes qui attendent en camp de rétention, véritable prison.


La situation entre 2017 et 2018 s'est beaucoup détériorée et le manque de décision des Etats a pour conséquence de nombreuses incertitudes et traumatismes dans le parcours des migrants. J'ai le sentiment d'un véritable acharnement psychologique.


Est-ce que cela ressort dans vos clichés ?


La différence entre les deux embarquements n'est pas forcément visible dans mes clichés, elle est racontée dans le texte de présentation. Par contre, les conditions de voyage inhumaines, la violence des éléments naturels auxquels ils font face et le courage des hommes et des femmes, ainsi que des équipes qui travaillent à bord. Le temps à tuer sur le bateau, l'inquiétude des rescapés, les traumatismes, l'énergie insatiable des enfants, oui, cela est montré.


D'ailleurs pour cette exposition il n'y aura pas uniquement de la photo mais également du son et de l'image, c'est bien ça ?


Oui, il y a une vidéo de 5 minutes qui illustre la longue semaine que nous avons passée face à Malte. Il y a aussi l'installation d' un carré orange de 1 m2 collé au sol, devant une des bâches qui représente des hommes et femmes très serrés (une trentaine), à bord d'un canot en plastique et qui nous regardent frontalement. Il est accompagné d'une légende : « Les embarcations secourues sont surchargées : on compte entre 8 et 10 personnes au mètre carré »


A ce jour, il ne reste que peu de bateaux sillonnant la Méditerranée pour porter secours aux personnes en détresse. Si vous aviez un message à adresser aux pays de l'Union européenne quel serait-il ?


Il n'y a plus de bateau à l'heure actuelle en Méditerranée centrale. L'acharnement envers les ONG a fonctionné, sans pour autant décourager. La mobilisation à terre pour l’accueil est grandissante, de nombreuses associations civiles donnent de leur temps, car si les Etats décident de rester les bras croisés, la population, elle, refuse. Et c'est beau à voir ! Les humains se rencontrent.


Dans vos photos, l'humain est très présent. Est-ce que ça a toujours été le cas dans vos différents travaux ?


Oui, la force et le courage de l'humain m'ont toujours fascinée. Sa capacité à se relever. Sa façon d’interagir avec l'environnement et les autres humains, son pouvoir incroyable de création.


Est-ce que ces photos prises en Méditerranée ont une particularité, une différence, par rapport à toutes vos autres réalisations ?


Oui bien sûr, les temps en mer sont des huis-clos. Les relations entre les gens sont très intenses, aussi parce que nous vivons des choses très dures. De même, les échanges sont très riches. Sur chaque embarquement, après les sauvetages, nous pouvions compter plus de 30 nationalités réunies sur un même bateau, je trouve ça très émouvant. Cela entraîne des conversations et des moments vraiment enrichissants.


C'est vrai que comme mes autres réalisations, celles-ci parlent de l'humain dans son combat et dans ses différences.


Qu'aimeriez-vous que les visiteurs retiennent à la fin de cette exposition ?


Une envie de reconsidérer la richesse du  rapport d'échange qu'on peut avoir avec ces gens qui fuient des situations que nous-mêmes fuirions. Plutôt qu'une masse déshumanisée, l'importance de replacer l'humain et l'histoire individuelle dans ces parcours migratoires.