Sur la route de Sousse
Adepte de la marche, l’artiste Ridha Dhib s’intéresse à la place du corps dans le temps et dans l’espace. Avec sa performance “Hor-I-zons”, il relie à pied et en solo Paris à Sousse, deux villes incarnant sa double culture.
Ridha Dhib a des kilomètres dans les jambes et dans la tête. Il a marché en cercle autour du point zéro des routes de France, situé sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Autour du “tawaf”, rite consistant, pour les musulmans, à tourner sept fois autour de la Kaaba lors du pèlerinage à La Mecque, il a conçu une “liturgie algorithmique” sur Google Maps et Google Street View. Il a fait Paris-Saint-Jacques-de-Compostelle en générant des données cartographiques sur internet. Et, le 2 mai dernier, il a entamé, depuis la capitale française, une marche de 3 000 kilomètres, qui le mènera jusqu’à Sousse, dans l’Est de la Tunisie, en passant par l’Italie. Arrivée prévue le 15 août.
Et pourquoi pas à vélo ?
Avec cette performance intitulée Hor-I-zons, c’est la première fois que Ridha Dhib exerce vraiment sa singulière pratique de la marche dans son pays d’origine. La Tunisie où, observe-t-il, “la tradition de la marche n’existe pas”. Où son projet a d’abord soulevé l’incompréhension. “On m’a demandé, par exemple, pourquoi je ne prenais pas un vélo”, se rappelle-t-il. Mais la dimension performative de sa démarche a fini par convaincre. Il pourra donc relier métaphoriquement ses deux cultures : la Tunisie (il est né à Sousse en 1966) et la France, où il vit depuis de nombreuses années (il a étudié à l’école des Beaux-Arts de Toulon).
L’artiste parcourt depuis longtemps les routes, les montagnes et les forêts. Mais c’est seulement lorsqu’apparaît le smartphone qu’il commence à associer sa recherche artistique à son goût pour la marche en solitaire. “Mon travail s’articule depuis toujours autour de la notion de ligne. Autour des potentialités plastiques d’une trace ouverte et abstraite. Grâce au GPS en temps réel, j’ai pu le poursuivre en matérialisant la trace de la marche.” Il développe ainsi une forme de “marche connectée”. Boussole en réalité augmentée à la main, il suit un itinéraire découpé en plusieurs étapes – 107, dans le cas de Hor-I-zons –, et collecte en chemin divers matériaux : photos, textes… Tout ce qui témoigne de son expérience physique et humaine.
Une route ouverte aux imprévus
Accompagnées de haïkus (brefs poèmes), les photographies que Ridha Dhib envoie chaque jour à l’Institut français de Tunisie documentent une partie du parcours d’Hor-I-zons. Elles laissent imaginer le reste. Les rencontres qui jalonnent la route. La solidarité, la bienveillance qu’il rencontre sur sa route, ouverte aux imprévus. Le récit de sa traversée, ce qu’il découvre sur des places de village et chez ceux qui lui offrent le gîte, est intégré dans une exposition sur la marche organisée par le centre d’art de Lacoux (Ain).
Les difficultés rencontrées dans les montagnes françaises, ses marches à contresens sur les autoroutes deviennent des récits qui s’étoffent, se transforment au fur et à mesure de son périple. La fatigue et les “petites pensées qui naissent de la répétition et des imprévus”, nourrissent sa ligne d’horizon sans jamais la briser.
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