La chevauchée fantastique de Mohamed Bourouissa

 La chevauchée fantastique de Mohamed Bourouissa

Courtesy Mohamed Bourouissa et Kamel Mennour


Nommé au prix Marcel Duchamp 2018, l’artiste franco-algérien connaît, à 39 ans, un joli succès en France. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris lui consacre une exposition d’envergure. 


Explorer la marge, donner à voir la périphérie, et ceux qui y vivent. Tel est le fil rouge de l’œuvre que construit Mohamed Bourouissa depuis ses débuts, et quel que soit le territoire qu’il prend pour ancrage : l’autre côté du périphérique parisien ou l’autre rive de l’océan Atlantique.



C’est avec Périphéries (2005-2009), une série de photographies ­mettant en scène la banlieue et ses habitants, que cet ­artiste né à Blida, en ­Algérie, s’est fait connaître. Son objectif : ­démonter les clichés. Ce travail lui a valu le prix Voies Off à Arles, en 2007, et a été présenté dans le cadre du mois de la photo en 2008 par la galerie Les Filles du ­Calvaire. Il lui a ouvert les portes du prestigieux ­circuit international de l’art contemporain. Cette même année, l’artiste franchit une autre frontière, en explorant l’univers ­carcéral dans Temps mort, un projet né de ses échanges ­téléphoniques avec un ami détenu.


Il n’a pas 30 ans, lorsqu’en 2009, il est invité à parti­ciper à une exposition collective qui se tient au New Museum de New York, l’une des institutions incontournables de Big Apple. L’année suivante, le Palais de Tokyo l’inclut dans son exposition collective ­“Dynasty”, laquelle met en avant la scène contemporaine émergente. Des années plus tard, en 2014, il s’expatrie dans un quartier pauvre et noir de Philadelphie. C’est là que prendra forme “Urban Riders”, qui est le fruit d’une immersion de neuf mois dans les écuries associatives de Fletcher Street.



Amé­nagé dans un quartier populaire de la ville, le lieu a été ­fondé par des cavaliers afro-américains dans les années 1900. Et c’est grâce aux images de la photographe américaine Martha ­Camarillo que Mohamed Bourouissa ­découvre cet endroit à ­vocation sociale, qui accueille les jeunes défavorisés du quartier et fait office de refuge pour les chevaux sauvés de l’abattoir. Croquis, aquarelles au jus de crottin, vidéos, installations, sculptures, story-board, collages, documentent cette expérience, dont le personnage central n’est autre que la communauté afro-américaine.


 


“Renverser l’imagerie du western hollywoodien”


Pour ce projet d’envergure, l’artiste explore divers supports et produit une centaine d’œuvres qui gravitent autour du film intitulé Horse Day, lequel est au cœur de l’exposition. Le court-métrage de treize minutes immortalise la journée événement au cours de laquelle les cavaliers, qui ont “customisé” leurs chevaux avec des rubans rouges, des CD et autres ornements extravagants, les présente devant un public et un jury pour tenter de remporter le prix du meilleur “horse tuning”. Le but de Mohamed Bourouissa ? Réaliser un western contemporain dans la ville et explorer la représentation des cowboys noirs. “Je voulais renverser l’imagerie du western hollywoodien représentant princi­palement des cowboys blancs (…) qui a été complètement réduite à John Wayne, alors qu’elle est en réalité multiple.” Et c’est ce que le visiteur de l’exposition découvre à travers une double projection décalée sur deux écrans.



Les costumes des cavaliers et les selles de chevaux créés pour l’occasion, avec le concours d’artistes locaux, sont accrochés aux murs d’une salle adjacente. De même, une galerie de portraits présente des cavaliers imprimés sur des carrosseries. Ces jeunes à la conquête d’un territoire ne sont pas si éloignés de ceux que Bourouissa immortalisait dans les photos de ses débuts. “Il y a des ­similitudes entre ce que je vois de l’histoire des Afro-Américains et ce qui se passe ici (en France, ndlr)”, admet-il.


“Urban Riders” a déjà été programmée à la Fondation Barnes à Philadelphie, au Stedelijk Museum à Amsterdam et au Haus der Kunst à Munich. Il était temps qu’elle le soit en France, où l’artiste a grandi et étudié. 


 


URBAN RIDERS, jusqu’au 22 avril, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris XVIe.


MAGAZINE MARS 2018