Explosion à Beyrouth : « Le Liban doit repartir de zéro »
Après l’explosion de Beyrouth, les Libanais et toute la diaspora espèrent un réveil et de réels changements politiques. Interview avec Philippe Bhanna, secrétaire général du Club culturel de la jeunesse franco-libanaise.
Plus de 150 morts. Un port totalement ravagé. L’explosion qui a eu lieu le 4 août dernier à Beyrouth, due au stockage de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, va laisser des traces indélébiles. Cependant la solidarité s’organise.
Les associations locales mais également celles de la diaspora présente dans de nombreux pays participent activement à la récolte de dons. Philippe Bhanna, secrétaire général du Club culturel de la jeunesse franco-libanaise, revient avec nous sur l’explosion, la solidarité et les aspirations de la jeunesse pour l’avenir du Liban.
LCDL : Où étiez-vous lorsque vous avez appris pour l’explosion à Beyrouth ?
Philippe Bhanna : J’habite à Paris. Au moment de l’explosion, nous étions, ma mère et moi, au téléphone via Whatsapp avec ma grand-mère. Heureusement, elle vit un peu plus loin, à Damour [20 km au sud de Beyrouth, ndlr]. Eh bien malgré ça, elle a eu des vitres cassées, des lampes qui sont tombées par terre… Nous avons entendu ma grand-mère commencer à crier. Elle pensait sur le moment qu’il y avait des avions israéliens qui étaient en train de bombarder un endroit (…) Mais très vite, avec Whatsapp, tout le Liban et la diaspora reçoivent la vidéo de l’explosion. Et là on se demande qu’est-ce qu’il se passe ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?
Comment s’organise l’acheminement des aides ?
Dès le lendemain, de notre côté, au niveau de l’association ou au niveau de la plateforme que j’ai créée, qui s’appelle Le Liban à Paris, nous avons recensé toutes les aides qui ont commencé à fleurir dans toute la France (…) Des jeunes ont commencé à rassembler des dons pour les déposer à différentes associations dont l’association Cœur sans frontières, ou des initiatives des mairies 15e et 16e avec des associations franco-libanaises…
Le premier container est parti de Toulon, lundi ou mardi, avec Coeur sans frontières, grâce à l’armée, jusqu’au port de Beyrouth ou Tripoli. Le port de Beyrouth a commencé à recevoir les containers il n’y a qu’un ou deux jours. Avant Tripoli avait pris le relais. Vu l’urgence et les besoins sur les produits de première nécessité, les médicaments, la nourriture, les vêtements, Air France et Transavia ont permis aux associations d’acheminer 300 à 400 kilos de fret par avion tous les jours, ou presque.
Il y a également les containers CMA-CGM dont le patron, Rodolphe Saadé, est franco-libanais. Cette entreprise va récolter tous les dons des associations franco-libanaises au port de Marseille. Et tout va partir au port de Beyrouth, ou Tripoli, le tout payé par l’entreprise.
Pour les aides, nous disons un grand merci à la France et à tous les autres pays. Il y a un véritable héritage entre la France et le Liban. Un grand merci à la population française qui fait un travail incroyable pour le Liban.
Comment voyez-vous l’avenir immédiat du Liban ?
Il faut sortir de cette crise qui est venue se rajouter aux autres. C’est-à-dire le feu qu’il y a eu en octobre dernier [Incendies dans les forêts du sud de Beyrouth, ndlr], la révolution qui est un point positif [Manifestations contre le régime en octobre 2019, ndlr], puis la crise sanitaire mondial et maintenant l’explosion. Un changement radical doit être fait. Toute la classe politique doit changer, nous devons avoir de nouveaux partis politiques. Il y en a déjà quelques-uns qui font partie de l’opposition mais ils ne sont assez suivis par ces gens qui restent très traditionalistes et qui ne veulent pas évoluer dans la façon de penser et de travailler politiquement. Si aujourd’hui, on n’arrive pas à faire adopter, ou évoluer, des lois, c’est à cause du président du parlement. On croit avoir une démocratie mais une seule personne bloque tout. Il y a beaucoup de groupes créés au Parlement mais aucune action concrète n’en ressort. Et pourquoi ça se passe comme ça ? Parce que chacun veut contrôler sa communauté. Et c’est pareil avec toutes les communautés, tous partis confondus.
Même le patrimoine est menacé. Certains profitent de la situation pour racheter des maisons détruites des quartiers historiques de Beyrouth, des maisons qui datent de 1800-1900. Ils veulent y construire, à la place, des gratte-ciels.
Malheureusement, il y a eu l’explosion, mais le Liban doit en profiter pour repartir de zéro. J’espère un vrai réveil.
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