Evacuations sanitaires : le Dr Chemlal au chevet des patients
Avec AOM Ambulance basée à Benslimane, le Maroc fait partie des 3 pays africains capables d’effectuer des évacuations sanitaires aériennes sur le continent. Un défi qui requiert des connaissances spécifiques comme nous l’explique son directeur médical, le Dr Mehdi Chemlal.
« Enfant, tu hésites entre devenir médecin ou pilote. Réanimateur sans mon brevet de pilotage, j’ai pu réaliser mes deux rêves sans soucis ! », plaisante Mehdi Chemlal, le directeur médical d’AOM Air Ambulance. Cette société spécialisée entre autres dans le rapatriement aérien, dispose du savoir-faire particulier et d’une équipe médicale adaptée aux besoins de patients.
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Le spécialiste de toutes les généralités
Né à Tanger, Mehdi Chemlal a hésité entre des études aux Etats-Unis et un concours réussi de médecine au Maroc. Il choisit de rester à Rabat finalement. « J’ai toujours aimé les métiers qui demandent d’être attentif. J’ai choisi d’aller vers la réanimation, une des spécialités les plus stressantes. Peu d’étudiants vont dans cette voie.»
Il effectue son internat à l’hôpital Avicenne de Rabat. Pour sa spécialité, il faut gérer autant les malades lors de leur passage dans un bloc opératoire que les grandes épidémies. D’ailleurs, durant la coupure aérienne, le médecin délaisse son rôle de médecin dans les airs pour se consacrer aux patients à terre. Rôle pivot pour tous les services, le réanimateur est, comme nous l’indique le Dr Chemlal, « le spécialiste des généralistes. Que ce soit en néphrologie, pneumologie ou cardiologie, les malades en soins intensifs reviennent vers le réanimateur qui jugule toutes les informations. Il doit connaître les complications de chaque maladie et s’adapter aux patients en conséquence.»
Escort sur les avions de ligne
C’est en 2015 que Mehdi Chemlal découvre le transport sanitaire en devenant médecin escort. Seuls les réanimateurs, urgentistes ou généralistes après formation, sont habilités à le pratiquer. « En général, on réserve entre 6 et 8 places. Ce sont des malades qui ont une pathologie (cardiaque, BPCO, etc..) susceptible d’avoir besoin d’une assistance durant le vol. »
Si ces patients ne peuvent pas prendre l’avion seul, c’est que l’altitude a des conséquences sur nos corps. « Il peut y avoir des modifications physiopathologiques qui sont liés à la différence de pression atmosphérique ou à l’oxygène dans le sang, nous indique le Dr Mehdi Chemlal qui a fait près d’une centaine de voyages. Quelqu’un en insuffisance respiratoire ou ayant des maladies vasculaires et cérébrales peut aggraver sa situation. Ils auront alors besoin d’un apport en oxygène. Les malades cardiaques peuvent aussi décompenser durant le vol. »
Avant de prendre un avion, il faut donc vérifier la possibilité de monter à bord. En effet, il peut y avoir des contre-indications relatives ou absolues. Si un médecin est requis, il est équipé de doses supplémentaires d’oxygène, de produits pharmaceutiques d’urgence (adrénaline, atropine, antihypertenseurs, antihistaminiques, corticoïdes, ventoline). Toutefois, toutes les compagnies ne font pas forcément du transport sanitaire. « Les voyageurs peuvent être en stress de voir quelqu’un de malade dans l’avion. C’est pour cela que les patients sont au fond de l’avion avec un paravent. Certaines compagnies ont même complètement arrêté de peur de la réaction de leurs clients, surtout quand le voyage est long. Pour un vol Casablanca-Washington, cela peut durer 8 heures ! Toutefois, certains patients qui sont entubés par exemple, ne peuvent pas prendre un avion de ligne.»
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4 jets privés équipés pour le transport sanitaire
Pour assurer le rapatriement sanitaire, une « ambulance-avion » doit avoir des habilitations qui vérifient la qualité des équipements aériens et médicaux. AOM Ambulance, installée à Benslimane au Maroc, effectuait depuis 2015 des vols pour les clients privés. Première compagnie d’ambulance aérienne au Maroc, la société, créée par Mohammed El Masaoudi, possède l’habilitation EURAMI pour faire du transport sanitaire par avion. En dehors du Maroc, seul le Kenya et l’Afrique du Sud dispose sur le continent d’un tel service. Même l’Espagne n’a pas de sociétés accréditées. « Les clients sont majoritairement des assurances mais cela peut concerner aussi du privé (chefs d’état, hommes d’affaires, cadres). Cela va de 2500 euros jusqu’à plusieurs milliers d’euros par heure selon l’appareil. Le prix ne dépend pas de la pathologie mais des heures de vol à effectuer.»
Disposant d’une flotte de 4 avions (Hawker 800 XPI, King Air 200, Learjet 45XR), la compagnie a pratiqué près de 900 rapatriements sur tout le continent. A bord des appareils, un médecin réanimateur et un infirmier. « Le médecin peut demander un support supplémentaire. On peut ainsi faire appel à un cardiologue, un gynécologue ou un spécialiste de néonatologie selon les cas. »
Avant la phase d’envenimation
En général, les assurances (Allianz, Axa, International SOS) indiquent les pathologies et le lieu de prise en charge et destination. Si la plupart des rapatriements sont programmés, des urgences peuvent aussi apparaître. « Dés la transmission du dossier médical, la société dispose en général de 6 heures. Par exemple, nous avons eu une enfant qui a été piqué par un scorpion à 3 heures du matin à Bamako. Il nous faut alors le temps de vérifier la possibilité pour le patient de prendre l’avion et de valider le devis. Ensuite, la compagnie doit obtenir les autorisations de vols, ce qui peut s’avérer compliqué. Pour aller du Maroc à Kinshasa, il faut celle de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, etc. Avec notre expérience, nous avons des relais dorénavant dans tous les pays africains ce qui facilite grandement ce travail. Nous avons pu être sur place à Bamako en 6 heures, soit avant l’infection du poison. »
L’autorisation ou non de faire un EVASAN (évacuation sanitaire, ndlr) se prend entre le médecin de l’assurance et celui d’AOM Air Ambulance. « Les principales difficultés s’opèrent durant le décollage ou l’atterrissage. Pour des patients qui ne supportent pas la haute altitude, il peut nous arriver de voler en « niveau mer ». Cela augmente le coût du transport, du fuel, etc… Les jets privés vont à la même vitesse qu’un avion de ligne. De plus, certains malades (infections, perte de sang,..) nécessitent beaucoup de travail. Quand on part en vol, on va prendre jusqu’à 3000 litres d’oxygène, ce que l’on ne peut pas avoir en avion de ligne. »
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Des opérations difficiles à pratiquer
Durant ses innombrables vols ou ceux de ses collègues, le Dr Chemlal nous assure qu’ils n’ont jamais eu à déplorer le moindre décès. « Quand on a une complication, la question qui se pose au médecin est de savoir si l’on se pose ou continue le vol, réplique le directeur médical. Je n’ai jamais eu à demander un atterrissage d’urgence. J’ai eu des convulsions durant un vol, que j’ai géré par des anti convulsivants. Lors d’un vol entre Buissau et Lisbonne, j’ai du effectuer un drainage de pneumo thorax qui est la complication la plus grave durant le vol. La survie peut être faible. Hamdoullah, le malade est arrivé sain et sauf à destination.»
Souvent, les évacuations sont programmées. Il peut même arriver à l’équipe médicale d’AOM Air Ambulance d’avoir à effectuer des opérations avant de prendre l’avion. « Une malade à Kinshasa avait un bloc auriculo-ventriculaire. Nous avions le choix entre la sonde de simulation cardiaque ou lui mettre un pacemaker. Nous avons ramené notre propre matériel et cela s’est bien passé. On a pu ensuite l’accompagner à Beyrouth. » Lors de ses évacuations, il revient au médecin de décider si un membre de la famille peut accompagner ou pas. « Pour les enfants, il y a souvent les parents. La plupart du temps, j’accepte la famille sauf si cela est compliqué. Je ne dois pas avoir à gérer en plus du malade, un membre de la famille en stress par les interventions de l’équipe médicale. »
Une clinique à Tanger pour les évacués sanitaires
Ces multiples déplacements ne sont pas sans conséquences pour le médecin. Il peut lui arriver de ne pas voir sa famille pendant une vingtaine de jours. « Les facteurs qui orientent la destination dépendent du médecin de l’assurance et de la stabilisation du patient pour tolérer un vol long ou non. Ca me fait mal de voir l’état de certains hôpitaux africains démunis par le manque de matériel ou de moyens. Si on regarde le système de santé européen ou moyen-oriental, le Maroc est dorénavant au niveau. Il n’y a pas de grandes différences.»
A la fin de notre entretien, le Dr Chemlal reçoit un message pour un rapatriement du Mali vers le Maroc pour le lendemain. Pour faciliter l’évacuation des patients plus rapidement, il travaille avec des collègues à l’ouverture d’une clinique en Février 2024. Objectif : favoriser le tourisme médical au Maroc et rapatrier les évacués sur place pour leur éviter des risques supplémentaires. « Nous travaillerons sur la cardiologie, l’ophtalmologie et la réanimation avancée. La plupart des patients africains préfèrent le Maroc car les coûts d’hospitalisation sont moins chers qu’en France ou en Europe.»