Vers une coalition d’extrême droite pour gouverner la République tchèque ?

 Vers une coalition d’extrême droite pour gouverner la République tchèque ?

Andrej Babis (à gauche)


La formation populiste ANO, du milliardaire Andrej Babis — lequel est parfois qualifié de « Trump tchèque » —, a largement remporté les élections législatives des 20 et 21 octobre. Ne disposant que d’une majorité relative et boudé par la plupart des autres partis, Babis pourrait être tenté par une alliance avec l’extrême droite islamophobe, répétant ainsi la situation de l’Autriche voisine.


ANO (Akce nespokojenych obcanu, « action des citoyens mécontents » et « oui » en tchèque), a fait campagne sur la lutte contre la corruption, contre l’accueil de migrants et contre la zone euro. Il obtient 29,7 % des voix, ce qui devrait lui assurer 78 sièges à la chambre basse du Parlement, qui en compte 200. ANO devance trois partis ayant obtenu des résultats presque identiques — l’ODS (droite) obtient 11,3 % ; le Parti pirate, 10,8 % ; et le SPD (extrême droite), 10,7 %.


Andrej Babis avait réitéré à la veille du scrutin son hostilité à l’accueil de migrants, mais aussi à l’union monétaire, sans pour autant prôner une sortie de son pays de l’Union européenne (UE). Membre de l’UE depuis 2004, la République tchèque n’a pas adopté l’euro comme monnaie.


Pour gouverner, M. Babis devra constituer une coalition, une opération délicate dans une chambre qui est fragmentée entre neuf partis. Deux d’entre eux, l’ODS (droite eurosceptique) et KDU-CSL (chrétien-démocrate) ont immédiatement annoncé qu’ils ne négocieraient pas avec le milliardaire.


 


Économie prospère et chômage inexistant


En dépit de la bonne marche de l’économie — le taux de chômage était de 3,8 % en septembre, et la croissance devrait s’établir à + 3,6 % en 2017 —, il y a au sein de la société tchèque des populations relativement défavorisées, des personnes qui sont lourdement endettées ou qui doivent travailler dur pour joindre les deux bouts, et qui accusent les élites politiques traditionnelles d’en être responsables. Bon nombre de ces électeurs soutiennent M. Babis.


Les Tchèques ont par ailleurs durement sanctionné le Parti social-démocrate CSSD, du premier ministre sortant, Bohuslav Sobotka ; cette formation subit une chute brutale et n’arrive que sixième, avec 7,3 % des voix. « Comment est-il possible qu’en République tchèque, quand le pays se porte fort bien, quand nous sommes un pays stable et sûr, et alors que nous avons fait de nombreux progrès dans le domaine social ces quatre dernières années, les gens soient de plus en plus attirés par des opinions extrêmes ? », s’est demandé M. Sobotka.


 


La tentation de l’alliance avec le SPD xénophobe et islamophobe


La percée spectaculaire du parti d’extrême droite SPD, un mouvement anti-immigration et anti-Union européenne (UE), et celle d’une formation « antisystème », le Parti pirate sont les autres faits marquants de l’élection. Le leader d’extrême droite antimigrants Tomio Okamura voudrait entrer au gouvernement. Il a tenu tout au long de la campagne un discours antimigrants dans un pays où pratiquement il n’y en a pas.


Prônant « l’arrêt de toute islamisation » et « une tolérance zéro de la migration », il conduit son parti SPD à la 4e place aux législatives, faisant entrer 22 élus au sein d’une chambre basse de 200 sièges, soit le nombre d’élus manquant à ANO pour former une majorité. « Il fait peur aux gens alors qu’il n’y a pas de migrants ici », s’est toutefois étonné Andrej Babis, qui a qualifié la campagne de M. Okamura de « brutalement populiste », tout en reconnaissant en lui « un excellent orateur ».


Tomio Okamura, qui affiche fièrement ses liens avec le Front national de Marine Le Pen, a attisé les peurs provoquées par la vague migratoire, il appelle à « l’interdiction de la charia » dans un pays de 10,6 millions d’habitants dont la communauté musulmane ne compte que quelque 10 000 à 20 000 personnes et qui n’a jusqu’à présent accepté que douze réfugiés alors qui l’UE lui a demandé d’en accueillir 1 600. Il a même exhorté ses concitoyens à promener leurs chiens et leurs cochons, animaux impurs pour les musulmans, à côté des mosquées du pays (qui n’en compte que deux) et à ne plus manger de kebab.


Deux jours après les législatives, il a rencontré leur grand vainqueur, Andrej Babis. En le quittant, il a affirmé que des convergences étaient possibles avec le chef du mouvement ANO, y compris sur l’introduction d’un éventuel référendum national et sur le refus d’offrir asile aux migrants musulmans.


Rached Cherif