Les manifestations néo-nazies de Chemnitz réveillent les démons de l’Allemagne
À Chemnitz, les nerfs sont à vif et le dialogue laborieux après plusieurs jours de violences racistes faisant suite au meurtre d'un Allemand, qui ont donné à cette ville de l'ex-RDA une célébrité dont elle se serait bien passée. Jeudi soir, ils étaient encore des centaines à se rassembler à nouveau contre la politique migratoire allemande.
Plusieurs centaines de militants anti-immigration, brandissant des drapeaux allemands, chantant l'hymne national, et promettant de « résister » et de « défendre l'avenir de [leurs] enfants », se sont regroupés devant le stade de Chemnitz, dans l'est de l'Allemagne jeudi 30 août, à l'appel d'un groupuscule local d'extrême droite « Pro Chemnitz ».
Depuis dimanche et le meurtre d’un homme présenté sous le nom « Daniel H. », des manifestations xénophobes ont éclaté dans ce fief des mouvements anti-immigrants Pegida et AfD (Alternative pour l'Allemagne, extrême droite). Une partie de la police est soupçonnée de sympathie envers les manifestants en raison du manque de fermeté dans la maîtrise de ces troubles et de la fuite de documents couverts par le secret de l’instruction.
Le rassemblement de jeudi soir n’a pas connu de débordements contrairement aux précédents, notamment lundi lorsque des personnes ont été blessées par des engins pyrotechniques et des projectiles. La veille, des militants xénophobes ont mené une « chasse collective » aux immigrés dans les rues de Chemnitz.
Esprits échauffés
Jeudi soir, le chef du gouvernement régional de Saxe Michael Kretschmer, membre du parti conservateur d'Angela Merkel, y a convié à un dialogue citoyen. Le rendez-vous était fixé de longue date. Mais les événements récents lui ont donné subitement un tout autre relief. Près de 500 habitants ont fait le déplacement. Dehors, environ 800 personnes manifestent à l'appel d'un mouvement de la droite radicale Pro Chemnitz, dont trois représentants siègent au conseil municipal. De loin, les cris « dégage! » se font entendre à l'attention du responsable politique.
« Cette ville n'est pas d’extrême-droite, cette ville n'est pas brune », clame côté Michael Kretschmer. Mais les images des incidents de Chemnitz, où sur des vidéos postées sur les réseaux sociaux des manifestants font le salut hitlérien, « sont maintenant partout dans le monde », dit-il.
« On vit bien à Chemnitz », affirme pourtant Birgit Menzel, vendeuse en assurances de 59 ans venue elle aussi au dialogue citoyen. L'ancienne Karl-Marx-Stadt et ses industries qui s'étaient retrouvées ruinées après la réunification du pays en 1990 -comme la plupart des cités de l'Allemagne de l'Est- se sont relevées et donne une image proprette et verte, le centre-ville est entièrement rénové, il y a beaucoup de théâtres, de musées.
La peur de l’étranger
Pourtant, la sécurité est le thème numéro un. « Il y a un sentiment de peur latente, chez les personnes âgées notamment, attisé par l'extrême-droite », estime Sabine Kühnrich, qui s'occupe d'un mouvement citoyen pour la démocratie et la tolérance. « Les étrangers? Nous n'en avons pas beaucoup ici », dit-elle, environ 7% sur une population de quelque 246 000 habitants. Pour elle, le meurtre de dimanche qui a mis le feu aux poudres – et pour lequel la police soupçonne deux jeunes irakien et syrien – est certes « terrible », mais inédit et ne justifie pas ce « déferlement de haine ».
C'est pourtant cet homicide qui a mis le feu aux poudres dimanche dans la troisième plus grande ville de Saxe. L'extrême droite en a pris prétexte pour marteler à nouveau un de ses thèmes de prédilection. Mardi, la chancelière Angela Merkel a déclaré que la « haine dans la rue » n'avait pas sa place en Allemagne. « Nous avons vu des chasses collectives, nous avons vu de la haine dans la rue, et cela n'a rien à voir avec un État de droit », a-t-elle insisté.
Le ministre fédéral de l'Intérieur, Horst Seehofer, a dénoncé mercredi la fuite du mandat d'arrêt, couvert par le secret de l'instruction, comme un acte « absolument inacceptable ». Dans ce cas, des membres de la police sont directement soupçonnés d'en être à l'origine.
Rached Cherif