Forte mobilisation pour rejeter le « Pacte de la honte » avec la Turquie

 Forte mobilisation pour rejeter le « Pacte de la honte » avec la Turquie

Les détracteurs du projet rappellent à l’Europe ses obligations au regard du droit international et la dégradation de la situation des droits humains en Turquie.


Dix jours après l’offre surprise des Turcs, les 28 se retrouvent jeudi à Bruxelles pour tenter de finaliser un important accord avec Ankara, mais dont le contenu suscite de fortes réserves, voire de franches condamnations. Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu est attendu vendredi par des chefs d’États et de gouvernement européens encore divisés sur le projet d’accord.


 


L’Europe s’apprête à enterrer ses valeurs


Pour la chancelière allemande Angela Merkel, qui a joué un rôle majeur dans les tractations avec les Turcs, sceller un accord donnerait une « première chance » de trouver une solution collective à la question migratoire. Mais cela ne se traduira pas par un chèque en blanc à Ankara, a-t-elle assuré. « L'objectif est clair : un accord acceptable pour les 28 États membres, ainsi que pour nos partenaires turcs », a répété mercredi soir le président du Conseil européen Donald Tusk, chargé par les pays européens de négocier avec Ankara, malgré des court-circuitages de Berlin qu'il a peu appréciés.


L'Union européenne (UE), qui cherche depuis des mois à obtenir de la Turquie sa collaboration pour tarir les flux de migrants, a été surprise de l'ampleur de la nouvelle « proposition turque » lors du précédent sommet du 7 mars : Ankara se dit désormais disposée à reprendre tous les nouveaux migrants gagnant les îles grecques depuis ses côtes, y compris les demandeurs d'asile. Mais, « la liste des problèmes à résoudre avant que nous puissions conclure un accord est longue », a admis Donald Tusk dans sa lettre d'invitation au sommet adressée aux dirigeants des 28, fixant comme « priorité absolue de s'assurer que nos décisions respectent le droit européen et international ».


La proposition turque avait en effet été accueillie par un concert de critiques, notamment de l’ONU qui a mis en garde contre l'illégalité des « possibles expulsions collectives et arbitraires ». Mercredi, la Commission européenne a assuré que tout accord respecterait le droit, promettant que chaque demandeur d'asile se verrait garantir un traitement individuel de sa requête et des moyens de recours contre un renvoi. Aux termes du projet d'accord, les Européens s'engageraient, pour chaque Syrien renvoyé, à « réinstaller » dans l'UE un autre Syrien depuis la Turquie.


 


« Pacte de la honte »


En critiquant mercredi le manque de solidarité de certains pays européens, Mme Merkel a mis le doigt sur les vraies motivations d’un accord jugé indigne par nombre d’observateurs et d’ONG. Il s’agit d’un « plan qui permet surtout à l’Union de repousser les réfugiés hors de ses frontières et de sous-traiter ses obligations à la Turquie (…) au mépris du droit d’asile », estime le réseau d’associations Migreurop. Le réseau Euromed Droits appelle quant à lui à dire non à ce « pacte de la honte » qui consiste en un marchandage de personnes.


Une pétition lancée après l’annonce du projet a d’ailleurs recueilli 150 000 signatures en une semaine, dont 35 000 en France, annonce Amnesty International. « L’UE ferme les yeux sur les conditions de vie indignes de la majorité des réfugiés en Turquie et sur les violations des droits humains dans ce pays », s’indignent les signataires de ce texte.


 


Le marchandage turc


En contrepartie de ses efforts, la Turquie obtiendrait une accélération du processus de libéralisation des visas pour ses ressortissants, ainsi qu'une relance de ses négociations d'adhésion, bloquées par le contentieux historique avec Chypre. Ce dernier engagement constitue un point de blocage pour Nicosie, qui pourrait menacer un accord avec Ankara.


« L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne n'est absolument pas à l'ordre du jour », a voulu rassurer mercredi Angela Merkel, soulignant que l'Europe devait rester ferme face à Ankara sur ses valeurs démocratiques, alors que le pouvoir islamo-conservateur turc est accusé de dérive autoritaire. De nombreux journalistes et opposants sont harcelés ou emprisonnés, tandis que des correspondants de médias étrangers se voient contraints de quitter le pays. Mercredi encore, le président turc Recep Tayyip Erdogan a réclamé la levée de l'immunité de parlementaires pro-kurdes. La veille, des universitaires avaient été arrêtés pour avoir signé une pétition en faveur de la minorité kurde.


Rached Cherif