Lyndon Johnson, le président injustement méconnu

 Lyndon Johnson, le président injustement méconnu

Retour sur un président américain contemporain


Au moment où on parle depuis quelques temps de Donald Trump, comme un des plus mauvais présidents des États-Unis, sans doute le plus mauvais pour l’élite américaine, notamment pour sa méprise des valeurs fondamentales sur lesquelles ont été fondées les États-Unis, et aussi pour sa politique interne et internationale, il serait intéressant d’évoquer le cas d’un autre président américain contemporain, injustement dédaigné par l’histoire et par la mémoire américaine et internationale jusqu’à aujourd’hui, qui a autrement marqué la vie des Américains et l’histoire de ce pays au niveau de ces mêmes valeurs : Lyndon Johnson, dont la mémoire a souvent été occultée au profit de son prédécesseur John Kennedy, devenu un mythe après son assassinat.


Un sondage d’opinion auprès des Américains sur les meilleurs présidents de l’histoire des États-Unis paru dans les années 90, mettait John Kennedy, à l’exception d’Abraham Lincoln et de Georges Washington, en haut du classement, Nixon parmi les derniers et Lyndon Johnson en milieu de classement. Vous prenez un Palmarès des meilleurs présidents de l’histoire des États-Unis, selon cette fois-ci les historiens, paru en début 2017, on se rapproche des valeurs des uns et des autres. On trouve ainsi Abraham Lincoln au sommet (1er), suivi par Georges Washington (2e), puis Franklin Delano Roosevelt (3e). Mais Lyndon Johnson, lui, ne se trouve qu’en 10e place, après Kennedy (8e) et même Reagan (9e), alors qu’Obama, le nouveau venu, sans doute parce qu’il est le premier président noir de l’histoire – chose marquante des historiens – se trouve en 10e position. Pourtant, le moins que l’on puisse dire, c’est que le règne de Obama a été peu marquant et peu glorieux. Attentiste et hésitant, Obama a été peu décisif durant deux mandats, à l’exception de l’Obamacare qu’il est arrivé à faire voter contre vents et marées, et qui est sur le point de partir en fumée avec Trump.


Il reste que dans l’opinion américaine, peuple et élite, Kennedy reste le plus mythique, le plus charismatique, le plus célèbre des présidents contemporains, aussi mythique que Roosevelt, mis à part, bien entendu, les Pères fondateurs : Lincoln/Washington/Jefferson.


Et pourtant, c’est Lyndon Johnson qui a réalisé les réformes rêvées ou envisagées seulement par Kennedy, dont il a accepté d’être le colistier pour l’élection présidentielle de 1960. Élu président, Kennedy fut par la suite assassiné le 22 novembre 1963. C’est Johnson, en tant que vice-président, qui a eu alors la chance de lui succéder à la présidence et de terminer le mandat qui restait à courir. Puis en 1964, Johnson a réussi à se faire élire Président à son tour en son nom propre cette fois-ci, représentant son parti démocrate. Quand Lyndon Johnson est devenu président après l’assassinat de Kennedy 1963, la famille Kennedy lui en a voulu. Pour Bobby Kennedy, collaborateur de son frère à la présidence, Johnson a pris la place de son frère. Il a alors du mal à le reconnaître dans son nouveau statut. Comment un vice-président, usurpateur, qui n’a constitutionnellement aucun pouvoir et qui n’a de surcroît pas été élu peut-il devenir un président ? Le clan Kennedy, comme les conseillers du président Kennedy étaient ainsi dédaigneux vis-à-vis de lui, sans doute aussi en raison des origines texanes modestes de Johnson et de son côté péquenaud.


Mais, en bon texan têtu, Johnson tient bon. Il s’est d’ailleurs occupé étroitement des funérailles et des protocoles y afférents du président défunt. Comme on dit, « celui qui tient le linceul tient le pouvoir ». Chose qui a gêné les Kennedy. Aux funérailles, Johnson voulait avoir Jacqueline Kennedy, l’épouse du défunt, à ses côtés pour avoir une certaine légitimité. Mais, il a écarté les Kennedy qui voulaient s’imposer dans l’organisation des funérailles. Un des problèmes qu’il avait à affronter avant de devenir président : comment choisir son colistier tout en écartant le légitime Bobby Kennedy qui le méprisait ? Il a alors décidé astucieusement de n’autoriser aucun membre de son cabinet d’être colistier pour ne pas nuire au bon fonctionnement de l’État et paraître neutre vis-à-vis de son équipe. Une fois entré en fonction, Johnson se débarrasse des conseillers du président Kennedy, à l’exception de Bobby Kennedy, le frère de John, qui était ministre de la Justice, parce qu’il avait besoin de lui, et de Robert Mac Namara, qui garde son poste à la Défense.


Ce qu’il faut surtout souligner, c’est que si John Kennedy était adulé par les Américains, jusqu’à aujourd’hui, c’est Lyndon Johnson qui est le président qui a le plus réussi à changer le visage des États unis et la vie des Américains dans l’histoire contemporaine. C’est lui qui propose et définit sa politique de « Great Society » : aide à l’éducation, lutte contre la maladie, sécurité sociale, rénovation urbaine, embellissement des villes, écologie, développement des zones abandonnées, lutte à grande échelle contre la pauvreté. C’est lui qui fait voter en 1964 le « Civil Rights Act », loi révolutionnaire interdisant toute forme de ségrégation raciale dans les lieux publics. On n’a aucune peine à imaginer la réaction des Kennedy. John Kennedy n’a pu lui-même faire adopter cette loi, malgré sa popularité. Puis, dans la foulée Johnson fait voter le « Voting Rights Act » en 1965, qui établit le droit de vote des noirs. Le vote était réservé jusque-là aux Blancs. Car, la loi sur les droits civiques ne garantit pas le droit de vote des noirs. C’est encore Johnson qui avait le soutien des mouvements civiques et de Martin Luther King. C’est lui encore, la même année qui signe l’« Immigration and Nationality Act », interdisant toute discrimination contre les immigrés non européens.


Il faut dire que Johnson a lutté avec beaucoup d’acharnement pour imposer ces réformes historiques. Il a commencé par inviter le leader de son parti au Sénat et lui dit de convaincre les sénateurs avec insistance et de faire l’impossible. Autrement, il faudrait lui marcher dessus. Le leader du parti au Sénat lui disait qu’avec le Civil Rights Act, vous risquez de perdre l’électorat du Sud du parti démocrate et l’élection présidentielle de 1964. Il répondait : « Si c’est le prix à payer de cette loi, je le payerai avec joie ». Il ne voulait sans doute pas rater cette réforme historique, ce rendez-vous avec l’histoire qui s’est présenté à lui comme une aubaine. La conviction y était aussi. Il a dû convaincre collaborateurs et sénateurs, tous récalcitrants à défendre ce projet, et faire beaucoup de lobbying. Il faut dire qu’il avait aussi le soutien des mouvements des droits civiques qu’il recevait régulièrement à la Maison-Blanche, et à qui il demandait de l’aider à faire pression sur le Congrès et sur l’opinion. Il a toujours mis en avant le mouvement des droits civiques. On peut dire que sans la loi sur les droits civiques imposée par Johnson, Obama n’aurait pu devenir le premier président noir de l’histoire américaine et les États-Unis seraient restés racialement coincés.


Toutefois, son plus grand échec a été la guerre du Vietnam. Les États-Unis s’étant embourbés dans cette guerre, à la suite de la décision de bombardements intensifs prise par Johnson lui-même, sur l’avis de ses conseillers militaires qui en ont fait la condition de l’issue rapide de la guerre. Face aux manifestations dans tout le pays et l’échec de la guerre sur le terrain, ses conseillers le pressent ainsi de riposter aux actes d’agression du nord Vietnam. Mais la guerre alourdit le budget des États-Unis et fait monter la colère dans le pays et les campus. Il a alors pris la décision d’arrêter les bombardements intensifs. Il craignait que les bombardements et l’échec au Vietnam puissent nuire à sa politique réformatrice et sociale. On lui a reproché d’être à l’origine de la défaite dans la guerre de Vietnam. Il est devenu impopulaire vers la fin de la guerre du Vietnam. Il décide alors de ne pas se représenter à un deuxième mandat auquel il avait pourtant droit (le remplacement de Kennedy après son assassinat, en tant que vice-président ne comptait pas).


Peut-être que s’il était sorti victorieux de la guerre du Vietnam, il aurait créé son propre mythe, qui aurait résisté au mythe de Kennedy. La guerre est une fabrique de héros et de récits fantasmagoriques. Mais il est resté un président méconnu dans l’histoire américaine contemporaine, malgré les révolutions qu’il a pu introduire dans la société américaine et les injustices ségrégationnistes auxquelles il a réussi à mettre fin. L’histoire peut créer, elle aussi, ses propres injustices.


Hatem M'Rad