Rachid Lahlou : « Nos valeurs, c’est aider tout le monde »
Ce Marocain a fondé la première organisation humanitaire musulmane de l’Hexagone : le Secours islamique France. Vingt-cinq ans plus tard, ce détenteur de la Légion d’honneur raconte son parcours dans un livre.
Pourquoi avez-vous décidé de publier cet ouvrage ?
Pour toutes les générations qui arrivent aujourd’hui au Secours islamique, dans une ambiance apaisée : qu’elles sachent que tout n’a pas toujours été aussi simple. Je voulais aussi lancer un signal d’espoir à la jeunesse musulmane. Malgré les difficultés que nous avons traversées, dans un environnement extrêmement difficile, on peut réussir, si on a la volonté et la transparence.
Comment vous est venue l’idée de faire de l’humanitaire musulman ?
La solidarité est un fondement de notre religion. L’aumône obligatoire est un des cinq piliers de l’Islam. Il nous paraissait légitime de lancer des actions d’aide aux démunis, au nom de notre religion. Lorsque nous avons créé l’association, dans les années 1990, peu de questions se posaient sur l’Islam et les musulmans. Pour les jeunes issus de l’immigration que nous étions, nous voulions apparaître aux côtéx des Secours catholique et populaire.
Vous insistez sur l’universalité de votre action. Pour quelle raison ?
Parce que l’universalité est une valeur religieuse. On donne à tout le monde, sans distinction. L’Islam n’est pas une religion communautaire. Elle est venue pour le bien de l’être humain, sans frontières. On donne et on n’attend rien en échange. Nous prônons la neutralité totale et l’universalité sans contrepartie.
Vous dénoncez le prosélytisme humanitaire, mais vous en faites au nom de l’Islam. N’est-ce pas paradoxal ?
Le prosélytisme, ce n’est pas d’afficher son appartenance, mais c’est de glisser un Coran ou de demander d’écouter un prêche au moment où l’on donne de l’aide. Il y a des organisations missionnaires qui le font encore. Nous sommes opposés à ces pratiques. Pour moi, il est inconcevable de profiter de la fragilité de quelqu’un pour lui faire connaître une religion. La foi religieuse est une démarche longue, et doit se faire dans la sérénité. Quelqu’un qui souffre de malnutrition embrassera n’importe quelle religion pourvu qu’on lui donne à manger. Il y a une question de dépendance. Je me bats contre cela. Quand je distribue un colis, il n’est pas chrétien ou musulman.
Beaucoup de musulmans ont eu du mal à comprendre que vous ne vous adressiez pas à eux en priorité…
Jamais l’Islam n’a été une religion sectaire et communautaire. Le prophète protégeait les personnes qui appartenaient au peuple contre lequel il se battait, mais qui ne portaient pas les armes. Si on connaît nos valeurs, on sait qu’en Islam, il faut apporter de l’aide à tout le monde, quelle que soit sa religion ou son origine. Mais les choses évoluent. Pour les tremblements de terre, même dans les pays non musulmans, nous avons autant de dons que pour ceux survenus dans des pays musulmans. Je pense que cette culture universelle se répand.
Votre affichage d’un engagement “au nom de l’Islam” fait de vous une sorte de représentant des musulmans de France, leur porte-voix…
Nous n’avons pas cette prétention, mais il est vrai que nous sommes interpellés sur la question de l’Islam en France et nous devons y répondre. Nous sommes une voix musulmane, mais nous n’avons pas de prétention stratégique ou politique. Nous ne sommes pas impliqués dans les questions de représentation et d’organisation de l’Islam de France. Nous nous contentons de l’humanitaire, et c’est ce qui fait notre force.