Mémoires d’un père inconsolable
Abdelaziz B. Alaoui se souvient de la dernière fois qu’il a vu sa fille vivante, des souvenirs heureux d’avant l’attentat de Ouagadougou et relate par le menu le cauchemar qui a suivi. Un témoignage bouleversant.
Off to Ouaga. Le titre pourrait presque sonner comme un joyeux appel au voyage, à la découverte. Le sous-titre, en revanche, Journal d’un deuil impossible, ne laisse plus place au moindre doute. Si Abdelaziz B. Alaoui n’avait pas perdu sa fille dans des conditions dramatiques, il n’aurait certainement jamais pris la plume. Le titre de son témoignage, c’est la dernière phrase prononcée par sa fille avant de s’envoler pour le Burkina Faso le 11 janvier 2016. Elle se rendait au “pays des hommes intègres” pour le compte d’Amnesty International qui lui avait commandé des photos pour une campagne destinée à lutter contre le mariage précoce. Quatre jours après son arrivée, elle avait été grièvement blessée lors d’un attentat perpétré par Al-Qaïda à Ouagadougou. Le 18 janvier, la jeune photographe franco-marocaine de talent succombait. Sa disparition tragique, à tout juste 33 ans, avait suscité une immense vague d’émotion tant au Maroc qu’en France.
Le témoignage d’une douleur authentique
Deux mois après sa mort, ses parents ont créé une fondation pour continuer à porter les valeurs de cette artiste engagée qui avait à cœur de tourner son objectif vers ceux qu’on ne veut pas toujours voir. Mais aussi en vue d’assurer l’archivage, la diffusion et la conservation de son œuvre, un peu l’enfant qu’elle n’a pas eu le temps d’avoir. Mais comment surmonter la perte d’une fille dans des circonstances aussi insupportables ? Sa mère, Christine Alaoui, s’est remise à la photographie… et s’est aussi convertie à l’Islam pour pouvoir être enterrée auprès de sa fille. Son père, lui, a choisi, l’écriture pour tenter d’estomper un deuil impossible à surmonter. “Cet ouvrage n’est pas un roman, mais le compte rendu d’une histoire vraie, un authentique témoignage d’une douleur à la fois personnelle, familiale et collective. Je me suis vite rendu compte que l’écriture me rapprochait de ma fille, même si nous sommes désormais dans des mondes distincts, lointains et opposés. C’est quelque part ma seule vraie consolation”, écrit-il en préambule.
De précieux derniers instants
Cet homme de plus de 70 ans, ce père qui ne sait “plus quoi répondre” quand on lui demande combien d’enfants il a, se livre sans fard. Il raconte tout. Les précieux derniers instants passés avec sa fille. L’hébétement qui a suivi l’annonce du drame. Sa colère face à certaines traditions absurdes. Des bribes de conversations avec un adel, un notaire de droit musulman. Il évoque également à la fin de l’ouvrage la nécessité de ne pas réduire la religion à des formules “paresseuses” type “l’Islam, c’est la paix” et de ne surtout pas lui faire porter des “torts qu’il ne défend pas”. Plus de deux ans que Leila Alaoui n’est plus. La douleur provoquée par sa disparition reste, elle, bien vivace dans le cœur de ses proches.
OFF TO OUAGA
Abdelaziz B. Alaoui, éditions Hermann, 166 p., 18 €.