Edgar Morin, une invitation à repenser
Les éditions de l’Aube ont rassemblé en un volume les entretiens qu’elles avaient publiés d’Edgar Morin avec différentes personnalités. Des dialogues philosophiques, politiques ou historiques pour réfléchir sur nos sociétés meurtries et nos désarrois.
Les intellectuels nous aident à comprendre le monde dans lequel nous vivons. Et la voix d’Edgar Morin, sociologue de la complexité, est l’une des plus importantes en France. Une vigie veillant sur les consciences. Les éditions de l’Aube ont eu la bonne idée de rassembler les dialogues qu’elles avaient publiés du grand penseur avec différentes personnalités, comme Boris Cyrulnik, Eric Fottorino, feu Stéphane Hessel, François Hollande, Laurent Greilsamer, Denis Lafay, Christiane Taubira, Nicolas Truong… Des entretiens pour nous aider à comprendre nos sociétés meurtries et bousculées.
“Une connaissance de la connaissance”
A 97 ans (!), Edgar Morin est l’un des intellectuels les plus en prise avec notre monde. Il fut résistant dans le même réseau que François Mitterrand. Communiste défroqué en 1958, il est l’ami des écrivains Marguerite Duras et Robert Antelme. Il devient directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 1970. Il élabore ce qu’il définit la “pensée complexe” et se lance dans l’écriture de son œuvre majeure : La Méthode (six tomes). La mondialisation et le combat écologique sont ses autres chevaux de bataille. Homme engagé, son œil aiguisé – et facétieux – se pose sur ce que beaucoup ignorent. Il note en avant-propos : “A la différence de tous ceux qui croient que le mode de penser dominant (réducteur, disjonctif, quantitatif) traite de façon pertinente les problèmes de la société et du monde, je crois en la nécessité d’une pensée complexe apte à relier les savoirs dispersés et compartimentés. C’est cette pensée qui anime les textes ici rassemblés.” D’où “la nécessité d’une connaissance de la connaissance qui détecte ses présupposés et ses risques permanents d’erreur et d’illusion”, qui “n’ont nullement disparu à l’ère de l’information et de la communication”. Sacrebleu, nous voilà prévenus !
“Une réunification des sources”
Au détour de ces dialogues philosophiques, politiques, historiques, la question de l’Homme taraude l’intellectuel : “Il y a un trou noir dans la connaissance de ce que nous sommes, nous humains. Ce qui était nommé ‘anthropologie’ au XIXe siècle cherchait à constituer une science réflexive de tout ce qui est humain. Aujourd’hui, la notion d’anthropologie est rétrécie aux sociétés sans écriture. Or si jamais il n’y eut autant de connaissances sur l’humain, jamais, comme l’a dit Heidegger, on n’a moins su ce qu’était l’être humain. En fait, l’humain est une trinité individu/société/espèce où les trois termes interdépendants s’engendrent l’un l’autre.”
L’écrivain cherche à comprendre pourquoi, selon lui, nous sommes dans une époque régressive généralisée sur tous les continents. Il se penche sur la question politique qui le passionne – la gauche – et tente de “donner un sens régénéré à ce mot désormais vidé de tout contenu et brisé en miettes”. Comment ? “Cela suppose une réunification des sources qui, à l’origine, communiquaient les unes avec les autres, mais dans la division : la source libertaire, qui porte à l’épanouissement de l’individu, la source socialiste, qui porte à l’amélioration de la société, la source communiste, qui porte à la communauté et la fraternité ; à quoi il faut ajouter la source écologique, qui restitue notre relation avec la nature.”
Ce livre est “une invitation à repenser et une incitation à la résistance. Toute régression doit stimuler une résistance, et toutes les résistances constituent des îlots de sauvegarde des valeurs essentielles pour nos vies et en même temps d’éventuels points de départ pour un renouveau transformateur.”
POUR RÉSISTER À LA RÉGRESSION, de Edgar Morin, éd. de l’Aube (novembre 2018), 280 p., 22 €.