Dans le sillage des fraisières d’Huelva

 Dans le sillage des fraisières d’Huelva

Miriam


Une immersion parmi les travailleuses saisonnières, qui quittent le Maroc pour l’Espagne afin d’y cueillir des fraises. Voilà ce que nous propose, dans sa dernière enquête, la chercheuse et géographe Chadia Arab.


Après avoir lu cet ouvrage, les fraises espagnoles n’auront plus jamais le même goût. La géographe et chercheuse au CNRS ­Chadia Arab s’est penchée sur le sort de milliers de Marocaines qui, depuis la fin des années 2000, quittent leur pays natal pour la province de Huelva, dans le sud-ouest de l’Espagne. Là-bas, le temps d’une saison, elles cueillent le fruit rouge, troquant ­parfois leur jellaba et leur foulard contre un jean.


 


Entre 2 000 et 3 000 Marocaines de février à juin


L’auteure s’est rendue dans leurs villages d’origine et a partagé le quotidien de certaines d’entre elles dans les bourgades d’Andalousie, qui voient affluer, de février à juin, une main-d’œuvre massive, essentiellement étrangère et ­féminine. On dénombre entre 2 000 et 3 000 “travailleuses temporaires” marocaines. Le modèle est supposé lutter contre l’immigration clandestine, tout en assurant la survie d’une agriculture intensive, qui classe cette région parmi les plus grandes productrices de fraises en Europe.


Recrutées au Maroc, donc, les saisonnières sont choisies sur des critères qui ne sont pas sans rappeler ceux du militaire français Félix Mora, qui sélectionnait dans les années 1950 et 1960 les hommes envoyés dans les mines de charbon du nord de la France. Les “heureuses élues” doivent être en bonne santé, ne pas être en surpoids, et être mères de jeunes enfants, afin d’éviter qu’elles ne soient tentées de rester dans l’eldorado européen. Elles doivent aussi se montrer dociles, et surtout ne pas se rebeller quand on exige que la cueillette se fasse à mains nues et sous des serres où les températures sont propices au malaise…


 


Privées de droits et d’intimité


Dans les faits, on trouve parmi ces travailleuses essentiellement des femmes divorcées ou veuves, des mères célibataires, des ­diplômées au chômage… Des personnes en difficulté, en somme, qui voient dans la migration une solution à leur problème. “Quand on y pense, on s’est battues pour aller travailler dans la ­misère. C’est la misère qui nous fait partir”, résume Saida, l’une des femmes interrogées par l’auteure de cette enquête.


Dames de fraises, doigts de fée dénonce la situation de ses exploitées, qui gagnent 35 euros par jour (sept heures de travail) et sont privées de nombreux droits (allocations chômage, points de ­retraite). Elles n’ont pas non plus d’intimité puisqu’elles vivent en collectivité dans des espaces restreints. Elles sont privées de leurs enfants et d’un éventuel conjoint pendant de longs mois, voire des années pour celles qui décident de ne pas retourner au Maroc à la fin du contrat temporaire et de devenir “sans-papières”(1). Et pour ces dernières, c’est un tout autre combat qui commence. 


(1) Terme employé par Catherine Quiminal, anthropologue, et Madjiguene Cissé, déléguée à la coordination nationale des sans-papiers.



 


DAMES DE FRAISES, DOIGTS DE FÉE de Chadia Arab, collection enquêtes, En toutes lettres, 188 p., 75 dirhams (15 €).