24 heures avec un éducateur spécialisé

 24 heures avec un éducateur spécialisé

Crédit photo : Nejma Brahim


MAGAZINE JANVIER 2018


Amir Rouibi, 26 ans, sillonne chaque recoin de la ville de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, pour aller à la rencontre des jeunes. De la rue au lycée, en passant par la maison de quartier, le centre social ou le foyer, l’éducateur ne néglige aucune voie pour aider les 16-25 ans à surmonter leurs difficultés.


9h30 : Le mercredi matin, Amir tient une permanence au Point information jeunesse (PIJ) de Montreuil, en Seine-Saint-Denis. Situé près des transports en commun, c’est un lieu de passage pour les gamins du coin. L’éducateur partage son bureau avec Lamia, son ancienne surveillante au lycée. “Si on m’avait dit à l’époque qu’on finirait collègues, je n’y aurais jamais cru !” s’amuse le jeune homme. Entre deux souvenirs, le duo accueille William. Ce Camerounais de 16 ans est arrivé seul à Paris il y a un an. Il vit en foyer à Montreuil depuis un mois. Amir l’invite à s’asseoir pour échanger. “Il faut le mettre en confiance avant de chercher à connaître ses attentes”, explique-t-il. Brevet en poche, William souhaite travailler dans la pâtisserie. “Un boulot à 16 ans, c’est difficile, voire impossible, à dégoter. La réglementation est devenue compliquée lorsqu’il s’agit de mineurs”, précise l’éducateur. La voie de l’apprentissage est donc à privilégier. Très vite, le jeune s’installe devant l’un des ordinateurs à disposition. Amir le guide dans ses recherches d’emploi, puis le laisse rédiger son CV.


11 h 30 : Amir a terminé avec William. Avant de le laisser partir, il lui propose de l’accompagner en début d’après-midi à une autre permanence axée sur l’emploi. L’adolescent acquiesce. Sans attendre, l’éducateur s’empare du téléphone : “Allô Valérie ? J’aimerais te présenter un jeune cet après-midi. Il cherche un contrat d’apprentissage… Parfait, à tout’ !” Le jeune quitte les locaux. Amir lui emboîte le pas. Amir discute avec des jeunes rencontrés devant le lycée Jean-Jaurès. S’ils ne viennent pas à lui, c'est à lui d'aller à eux. D'où l'importance de "faire du terrain".


12 h : L’heure de filer à son autre bureau. En route, l’éducateur croise des visages familiers qui lui sourient. “Tous les jeunes me connaissent, j’ai grandi ici !” confie-t-il en dévalant les marches qui mènent au lycée Jean-Jaurès. Un groupe d’élèves est assis sur un muret devant l’établissement. Amir en profite pour les aborder. “Ça va les jeunes ?” Son sens du relationnel, son humour et sa tchatche font le reste. En cinq minutes, les lycéens l’ont entendu parler études, permis, BAFA… “Je m’adapte à mes interlocuteurs, à leurs problématiques.”


12 h 30 : Juste en face du lycée, il retrouve Youri, 17 ans, à l’entrée du café La Pêche. Elève en sciences et technologies du management et de la gestion (STMG), il souhaiterait devenir éducateur. Il en profite pour poser des questions à Amir. “Si je ne fais pas de terrain, les jeunes ne peuvent pas savoir qu’on est là pour eux”, souligne ce dernier. Lorsqu’il pousse la porte du café, il est fier de nous faire découvrir les lieux. Un bar, une pizzeria, une salle de concerts et même un studio de musique sont à disposition des visiteurs : “C’est un lieu de rendez-vous, les jeunes s’y sentent comme à la maison.” Un brin nostalgique, l’animateur se souvient d’un concert de rap qui a réuni une centaine de jeunes ici.


crédit photo : Nejma Brahim


14 h : Amir retrouve William, le jeune Camerounais du matin, au PIJ. Ensemble, ils se rendent à la maison de quartier où les attend Valérie Desse, conseillère en insertion professionnelle. “L’idée est de faire le point avec William. Je lui propose ensuite des solutions adéquates”, explique celle-ci. Sur place, Hasnine, 21 ans, est heureux de revoir Amir. L’éducateur l’avait aidé par le passé. Il est là pour discuter d’une offre d’emploi avec la conseillère. “Pour pouvoir orienter les jeunes, on doit rester informé et avoir un bon carnet d’adresses”, appuie Amir. Au Point information jeunesse (PIJ) de Montreuil, Amir échange avec William, un Camerounais de 16 ans, venu chercher de l’aide pour construire un projet professionnel.


14 h 45 : Direction l’antenne de quartier Pablo-Picasso. Ici, le béton a pris le dessus sur la verdure. A la cité de l’Espoir, les blocs d’immeubles HLM ont le monopole. Amadou, seul permanent de la structure, s’occupe d’une quinzaine de jeunes âgés de 11 à 17 ans. Les filles chantonnent, les garçons jouent au billard. “Ils sont bien trop jeunes, mais je viens pour créer du lien, sans doute pour plus tard”, explique Amir. Amadou les écoute, les conseille, les fait évoluer pour devenir des citoyens responsables. “A cet âge-là, le lien est fragile avec les parents. Il faut un intermédiaire qui ne les juge pas mais qui fixe des limites.” Il calme les filles qui se chamaillent. “Sans ce type de structures, les jeunes seraient livrés à eux-mêmes”, assure-t-il. Son regard se porte sur un groupe d’une vingtaine de garçons à l’extérieur. Ils bravent le froid, capuche sur la tête, et dealent sous le porche. Devant le café La Pêche, Amir croise Youri, un jeune de son quartier, qui souhaite devenir éducateur. Il lui parle de son métier.


Crédit photo : Nejma Brahim


15 h 30 : “Ceux-là, on les a perdus…Avec l’argent qu’ils se font, ce qu’on leur propose leur semble ridicule. C’est de la concurrence déloyale !” Amir se promène dans la cité. Il les salue en passant. S’il ne veut pas déranger le business, il fait en sorte de garder le contact. “Ma force, c’est de fréquenter des personnes d’horizons différents. Et puis, j’habite la ville. Les jeunes m’écoutent et me respectent, ils savent qu’ils peuvent compter sur moi.” Dehors, pas un chat. La jeunesse a évolué, selon Amir : plus question de traîner en bas des blocs, la tendance est aux bars à chichas ou aux cafés.


16 h : Dernière étape de la journée : le centre social Lounès-Matoub du Bas-Montreuil. Dans le bureau de Xavier, le directeur, la discussion démarre fort : une adolescente a fugué, tout le monde est sur le coup. Depuis un an, Xavier fait appel à Amir pour attirer les jeunes et les faire bénéficier des services de la structure. Le centre, “trop connoté famille”, les fait fuir. “Or, il y a un vrai besoin puisque certains lieux aux alentours sont squattés par les jeunes”, confie le directeur. Le duo fait régulièrement le point pour tenter d’améliorer le quotidien des jeunes. Demain, Amir prévoit d’aller rendre visite à Bachir, qu’il a accompagné durant plusieurs mois. “Aujourd’hui, il vit en foyer pour jeunes travailleurs et s’en sort bien.Il faut toujours assurer le suivi !”