En Tunisie s’ouvre le méga procès pour « complot » dans des conditions chaotiques

Rassemblement pro opposition aux abords du Tribunal de première instance de Tunis
Dans ce procès hors normes, historique, où comparaissent mardi 4 mars pas moins de 40 accusés, dont des figures « high profile » de l’opposition tunisienne, défendus par plus d’une centaine d’avocats, la première audience s’est focalisée sur des considérations formelles. Parmi celles-ci, la très controversée décision du procès à distance pour les individus incarcérés, le Parquet citant des raisons de sécurité.
Premier fait marquant d’emblée, le juge a ainsi convoqué les prévenus en prison et annoncé leur « absence ». Les avocats contestent cette qualification et précisent que les opposants détenus ont refusé non pas de se présenter à l’audience mais le principe même du procès à distance par écrans interposés. Ce à quoi le tribunal a fait valoir que l’administration pénitentiaire a fait appel à des prisonniers de droit commun pour témoigner et constater le refus des accusés de comparaître. Les avocats persistent : leurs clients ont exigé qu’ils soient transférés au tribunal pour assister physiquement à l’audience et non à distance.
Ancien magistrat lui-même, l’avocat Ahmed Souab dénonce « un scandale » en évoquant l’impératif d’adaptation qui incombe en matière de logistique dans le cas de ces grands procès au pouvoir judiciaire et non pas aux prévenus ainsi dépourvus du droit élémentaire à une audience en présentiel, « le minima du procès équitable ».
Au-delà des vice de forme, l’enjeu d’une jurisprudence politique
Pour rappel, ce procès d’un nombre inédit d’opposants au pouvoir du président Kais Saied, parmi les plus connus de Tunisie, s’ouvrait mardi pour « complot contre la sûreté de l’Etat », une affaire fustigée pour sa « vacuité » et son caractère « politique » par l’opposition ainsi qu’une grande partie de la société civile.
Leaders de partis, avocats, figures des médias : une quarantaine de personnes issues de divers courants y sont poursuivies. Nombre d’entre elles sont soupçonnées de contacts avec l’étranger, notamment des diplomates américains et européens. Elles sont inculpées plus précisément pour « complot contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat » et « adhésion à un groupe terroriste », une accusation dont la banalisation nuit au véritables affaires à caractère terroriste, avertit une magistrate. En l’état, ces accusations sont passibles de lourdes peines de prison et jusqu’à la peine capitale.
La plupart des prévenus ont été arrêtées lors d’un coup de filet dans les rangs de l’opposition en 2023. Le président Saïed avait déjà publiquement à l’époque qualifié les personnes interpellées de « terroristes ».
Parmi les grands noms du procès figurent le chef du parti Al Joumhouri, Issam Chebbi, le juriste Jawhar Ben Mbarek et un ancien cadre du parti islamiste Ennahdha, Abdelhamid Jelassi. En font aussi partie les militants Khayam Turki, considéré comme principal « lobbyiste » et Chaïma Issa (remise en liberté), l’anciennement influent homme d’affaires Kamel Eltaïef et l’ex-députée Bochra Belhaj Hmida, ex présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Cette dernière a trouvé refuge en France. « Plus cocasse » selon la défense, l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy figure parmi les accusés, « sorte de caution à la coloration complotiste du dossier » pour l’avocate Dalila Mbarek qui affirme que le dossier d’instruction est « vide » et fondé sur « des accusations se basant sur de faux témoignages ».
Depuis sa cellule, Jawhar Ben Mbarek a dénoncé dans une lettre lue lors d’une conférence de presse « un harcèlement judiciaire » visant à « l’élimination méthodique des voix dissonantes ». Ben Mbarek est l’un des fondateurs du Front du salut national (FSN), principale coalition d’opposition au président Saied.
La veille du procès, dans un plateau à sens unique dédié au dossier, un chroniqueur pro pouvoir a présenté des documents fuités montrant les plans des accusés avant leur arrestation visant à une destitution du chef de l’Etat, « une simple feuille de route qui allait être rendue publique dans une conférence organisée par l’opposition », selon les avocats de la défense qui dénoncent un lynchage médiatique visant à orienter l’opinion.