En Tunisie, le secteur de l’automobile ne connaît pas la crise

 En Tunisie, le secteur de l’automobile ne connaît pas la crise

C’est du jamais vu de mémoire de concessionnaire : 2500 nouvelles immatriculations en 9 jours pour clôturer l’année 2023. C’est aussi paradoxal que contre-intuitif, au moment où les prix des véhicules neufs flambent, où le PIB par habitant patine, et où les quotas d’importation sont amputés, l’automobile se porte plutôt bien en Tunisie où la transition vers l’électrique n’est pas encore vraiment d’actualité. Décryptage.   

 

« A cette cadence-là, nous pourrions bientôt atteindre les 10 mille immatriculations par mois ! », s’étonne Wajdi, le gérant d’un showroom dans l’Ariana, l’une de ces entreprises d’intermédiaires qui fleurissent un peu partout dans le Grand Tunis et qui attestent du dynamisme du marché de l’occasion lui-même en hausse. La statistique précise est en réalité plus proche des 3000 véhicules en 10 jours, si l’on compte les 2869 voitures pour particuliers fraîchement immatriculés du 20 au 30 décembre 2023, en sus des autres régimes fiscaux spéciaux.

Il est à noter que cet exceptionnel coup de fouet des ventes intervient alors que nous sommes encore loin du pic traditionnel du mois de juin, celui du début du retour des Tunisiens résidents à l’étranger et où la saison estivale est généralement plus propice à l’acquisition ou au renouvellement des voitures pour les particuliers.

 

Rebond post déclin dû au Covid

Pourtant, à y regarder de plus près, l’année 2022 avait enregistré un net recul des ventes, décevant pour les acteurs du marché tunisien. Ainsi les premières immatriculations de véhicules y avaient globalement baissé d’un peu plus de 10% par rapport à l’année 2021, avec un volume de 55.455 véhicules immatriculés en 2022. Or, cette baisse était principalement liée à la pénurie des semi-conducteurs, accentuée par l’éclatement du conflit en Ukraine.

 

Ce sont les véhicules particuliers qui avaient alors été le plus touchés, avec une baisse de 15.5% par rapport à l’année 2021, année référence du premier rebond post confinement. Les immatriculations des « voitures populaires » (régime spécial réservé aux 4 chevaux fiscaux, datant de l’ère Ben Ali) avaient même régressé de près de 23% en 2022, contre une hausse de 26% en 2021.

Mais contre toute attente, dès fin octobre 2023, le redressement était ostensible, avec déjà une hausse de 2% par rapport à l’année précédente, plus marquée dans le segment des voitures de tourisme et les véhicules utilitaires (+3,74%), selon Mehdi Mahjoub, membre du bureau exécutif de la Chambre nationale des concessionnaires de des constructeurs automobiles. En 10 mois seulement, 42 mille nouvelles immatriculations ont été enregistrées sur le marché officiel, contre environ 13 mille sur le marché dit de l’informel, en attendant le bilan annuel de l’ATTT qui devrait être publié dans le courant du mois de janvier 2024 et inclure l’ensemble du dernier trimestre.

Autre segment en nette progression en 2023, celui de la voiture populaire, et pour cause : pour répondre à la demande croissante, l’Etat a permis d’augmenter les parts de voitures populaires pour les concessionnaires automobiles de 1 000 à 1 250 voitures par concessionnaire par an. Ce faisant, les ventes de ces véhicules les plus accessibles pour les bourses des Tunisiens sont passées de 4799 unités entre début 2021 et septembre 2022 à 5135 durant la même période en 2023, selon la même source.

 

Des causes multiples et complexes

Ces chiffres peuvent surprendre au moment où les prix du carburant sont à un plus haut historique en Tunisie, et où plusieurs facteurs expliquent la flambée du prix des voitures neuves dans le pays, dont d’abord la dépréciation continue du dinar tunisien par rapport au dollar et à l’euro, conjuguée à la hausse de la TVA et assortie d’une taxe à la consommation accrue au fil des lois de finances. Celles-ci tendent à imposer toujours plus les prix finaux répercutés sur la facture. Résultat, des prix qui ont doublé, voire triplé depuis 2017, année charnière de l’augmentation exponentielle des prix.

Autre facteur poussant les prix vers le haut mais créant dans le même temps un climat anxiogène de raréfaction pour les consommateurs obligés d’attendre la livraison de voitures neuves : la baisse des quotas d’importation de près de 20% en 2023. En effet, dès juin de la même année, le président de la chambre patronale des concessionnaires, Ibrahim Debache, avait confirmé que ces quotas allaient passer de 55.000 véhicules à 45.000 véhicules. Une restriction qui s’est faite avec l’accord de la chambre, la ministre du Commerce, Kalthoum Ben Rejeb, ayant à l’époque évoqué la situation économique et financière difficile du pays, nécessitant une baisse des volumes d’importation hors voitures populaires.

En interrogeant les Tunisiens sur les raisons les poussant à acquérir une voiture, voire deux, par ménage, la dégradation alarmante du secteur des transports publics est le motif le plus récurrent. La récente visite surprise du président Kais Saïed, une énième du genre, à un dépôt dans la capitale n’y a encore rien changé. En piteux état, le parc des bus et métros fonctionnels ne cesse de diminuer et avec lui le temps d’attente des usagers. Même calvaire pour les taxis objet de la colère des Tunisiens car préférant de plus les applications payantes à l’acceptation de clients au hasard des artères des grandes villes.

Reste qu’en plus des bouchons interminables engendrés par cette surpopulation automobile pour laquelle l’infrastructure routière n’est pas préparée, l’accès à la propriété automobile est en somme un baromètre du gap entre classes sociales, un fossé qui se creuse à vue d’œil en Tunisie.

Si depuis une loi de 2019, est éligible à acquérir une voiture populaire toute personne physique ayant un revenu annuel ne dépassant pas 10 fois le salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig) pour un régime de 48h par semaine (460dt soit 135 euros) et tout ménage dont le revenu mensuel net des deux conjoints ne dépasse pas les 15 fois le Smig, dans la limite d’une seule voiture par ménage une fois tous les 7 ans, les prix des voitures les plus abordables est d’environ 30 mille dinars pour la voiture populaire, et de 40 mille dinars pour la 5 CV fiscaux la moins chère, dans un marché dominé par les marques asiatiques.

Il faudra donc compter l’équivalent de près de 100 mois de salaire (plus de huit ans) minimum pour envisager l’acquisition d’un véhicule neuf, même si le Smig en Tunisie est, contrairement aux pays industrialisés, loin du salaire médian qui se trouve aux alentours de 1000dt en 2024. Si seule une vingtaine de véhicules électriques ont été vendus cette année dans le pays où n’en circule qu’une centaine, les dernières estimations font état de 5000 véhicules électriques et 500 bornes de recharge de 5 mégawatts à l’horizon 2025.

80.000 véhicules administratifs circulent en Tunisie, un chiffre qui devrait en revanche demeurer stable en 2024 au nom d’une politique d’austérité spécifique, en dépit d’une augmentation du coût du train de vie de l’Etat.

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