En Tunisie le gaming est un loisir en pleine expansion, en dépit des barrières d’accès
Officiellement promu 10e art avec l’infographie et le webdesign, le jeu vidéo dépasse depuis quelques années en termes de revenus les industries du cinéma et de la musique, ce qui en fait l’industrie culturelle du XXIe siècle par excellence. Souvent considéré comme un hobby de luxe dans les pays développés, le gaming est d’autant plus onéreux dans les pays du Maghreb où le pouvoir d’achat limite considérablement les budgets consacrés à l’entertainment. Cela n’empêche pas l’engouement pour le cyber divertissement d’y exploser, notamment en Tunisie où nous sommes partis en immersion auprès de la communauté des gamers.
« Loisir pour enfants » ringardisé hier, loisir tendance et de plus en plus adulte aujourd’hui, le phénomène de société qu’est le gaming n’en finit pas de percer, y compris auprès de nouvelles audiences tels que les jeunes actifs, les séniors, ou encore les jeunes femmes en Tunisie. A 24 ans, Azmi Jemai, étudiant en Master à l’Institut Supérieur des Langues de Tunis (ISLT). Pour vivre pleinement sa passion vidéoludique, le jeune homme nous explique devoir jongler entre plusieurs jobs dont l’un en freelance, en sus de ses exigeantes études.
« Assouvir mon amour du gaming fut difficile en grandissant à Aïn Draham : dès mon enfance j’ai commencé à m’essayer en 2007 à PES 3, un jeu de football, sur une modeste unité centrale de PC de bureau dégotée par mon père, branchée sur un moniteur de récup’. Mon premier upgrade en 2013 m’a permis de m’attaquer aux jeux multi-joueurs dont League of legends. Ce n’est que bien plus tard lorsque j’ai décroché mon premier job dans la conception web que j’ai eu un PC gaming digne de ce nom, un laptop fourni par mon employeur. Une fois indépendant financièrement, j’ai pu m’autoriser quelques upgrades supplémentaires mais ce qui signifie également entrer dans la spirale des dépenses »…
L’équipement informatique frappé de plein fouet par le contexte inflationniste
Malgré un manque de choix évident en magasin et une profusion d’importations de marques low cost, le jeune homme déplore les coûts exorbitants de la plupart des composants hardwares et des périphériques dans le pays. Car les gamers tunisiens restent en effet fortement pénalisés par le taux de change de l’euro particulièrement défavorable au dinar s’agissant des importations, sans compter la TVA rébarbative sur les accessoires et les taxes de plus en plus élevées prélevées sur les produits hi-tech. Ainsi un simple écran d’une diagonale supérieure à 30 pouces est désormais classé en produit de luxe par la douane, en vertu des récentes lois de finance malheureusement plus archaïques les unes que les autres à cet égard.
Pour autant, tant bien que mal, Azmi parvient à s’équiper en matériel de base : son PC d’entrée de gamme aura au final coûté bien plus cher que pour un acheteur européen à rémunération équivalente, mais il n’en est pas moins découragé : « hormis les grandes enseignes, il existe diverses façons de se débrouiller notamment en ayant recours aux marchés aux puces et mêmes aux friperies où l’on trouve parfois des trésors cachés insoupçonnées. C’est là que je suis tombé sur des manettes de marque immaculées ou encore des souris haut de gamme d’occasion pour une fraction du prix du neuf ».
Le boom de l’engouement pour Valorant
Si un ordinateur est une sorte d’édifice en perpétuelle évolution, dont le montage est un plaisir individuel et solitaire lors du processus de montage et de sélection, « c’est aussi un outil plus convivial et collectif lorsqu’on se connecte en ligne pour retrouver ses « clan » dans les jeux en ligne en réseau », nous explique Nada Nasr, alias Sugar Bubbles, son gamer tag, qui consacre jusque 7 heures par jour à Valorant, l’un des shooters à la première personne les plus en vogue du moment. Développé par Riot Games, il est solidement installé dans le top 10 des jeux les plus populaires en 2024.
« Bubbles » comme aiment à l’appeler ses proches est passée par les mêmes méandres de la barrière d’accès financière. Enseignante des écoles primaires, elle affirme avoir consacré sa première année de salaire à l’achat de sa première configuration PC.
Prenant part à des compétitions et tournois esports avec sa team imperial eagles, elle a récemment lancé un podcast regroupant plusieurs streamers pour diffuser du contenu s’articulant autour du phénomène Valorant. Si elle explique que les mentalités souffrent encore de certains préjugés sexistes au sein de la communauté du jeu, elle tempère cela en expliquant que « cela reste le reflet de ce qu’elle rencontre à proportions égales ailleurs que dans le gaming ». Toutefois, pour contourner ce fléau mais aussi couper court au harcèlement, elle confesse avoir recouru à des moyens facétieux et plutôt insolites tels qu’une application « Voice changer », un logiciel permettant de changer de timbre de voix de sorte de se fondre dans la masse de la majorité de joueurs de sexe masculin lors des sessions Discord, principale plateforme de tchat dans le milieu.
Samedi 20 avril a eu lieu à Hammamet la sixième édition du Cosplay open city, un évènement libre d’accès célébrant la culture geek en faisant la part belle aux costumes de personnages de mangas, de bande dessinée, d’animation japonaise, mais aussi de jeux vidéo et de comics, autant de vases communicants avec l’univers gaming qui agrège chaque année un nombre exponentiel de participants.
Retrouvez l’intégralité du dossier Gaming en Tunisie dans le numéro 189 du Courrier de l’Atlas.