En Tunisie, l’armée prend le contrôle du Parlement

 En Tunisie, l’armée prend le contrôle du Parlement

A 2h00 du matin, le président Saïed a effectué une visite d’inspection, Avenue Bourguiba, où il a également pris un bain de foule

C’est une nuit des longs couteaux qu’a vécue le pays où les évènements s’accélèrent à vitesse grand V. Quelques heures avant que se forment des attroupements de Tunisiens pro et anti gel du Parlement, l’armée a verrouillé les accès au Palais du Bardo, conformément aux mesures annoncées la même soirée par le président Kais Saïed.

 

La symbolique de ces images sans doute historiques est saisissante : en se rendant à l’Assemblée des représentants du peuple la nuit de dimanche à lundi pour y tenir une session extraordinaire, le leader islamiste et président du Parlement, Rached Ghannouchi, se voit refuser l’entrée par des militaires armés.

Quelques heures plus tard, lorsque des partisans de la majorité parlementaire tentent de forcer le principal portail du Parlement, un blindé stationné dans la cour s’avance et leur barre l’accès. Une deuxième chaîne y est alors installée par un soldat, comme pour signifier que le sort de l’institution est désormais scellé.

Alors que l’information de la fermeture de l’espace aérien et maritime du pays se confirme, des agents de la police des frontières à l’Aéroport Tunis-Carthage disent attendre encore des instructions claires du pouvoir exécutif à travers une vidéo qui prend la toile à témoin sur la confusion qui y règne.

 

Débat constitutionnel clivant

Au moment où les internautes débattent de la pertinence sémantique de l’expression « coup d’Etat », l’armée ne s’étant pas elle-même accaparé le pouvoir, et le président qui a ordonné l’extension de ses prérogatives étant initialement un président élu, certains constitutionnalistes ont déjà tranché.

Ainsi pour la juriste Sana Ben Achour, ancienne candidate des mouvances modernistes démocrates à la Cour constitutionnelle : « La Constitution est claire, et tout ce qu’a annoncé le président de la république Kais Saïed est complètement anticonstitutionnel », a-t-elle déploré.

Même condamnation pour le juriste Jaouhar Ben Mbarek : « La transgression de la Constitution est multiple. Il y a une volonté de concentrer tous les pouvoirs aux mains d’un seul homme. C’est une tentative de coup d’Etat anti démocratique, c’est là l’unique constat valide. Le peuple qui jubile ce soir verra demain qu’il existe un autre peuple en colère. J’espère qu’aucun tunisien ne s’entretuera avec un son compatriote au nom de la politique ».

Probablement un vœu pieux, au moment où les prémices de ce qui ressemble à une guerre civile larvée se fait sentir aux abords du Parlement, où les escarmouches se multiplient au petit matin entre manifestants des deux camps.

 

Rendue légitime aux yeux d’une grande partie de l’opinion par les errements de ce qu’il est convenu d’appeler le cirque parlementaire, la manœuvre présidentielle a de nombreux défenseurs y compris chez certaines élites du pays. Même si le sociétalement conservateur Kais Saïed n’était pas leur premier choix aux élections de 2019, ils voient en ces développements une opportunité providentielle pour en découdre avec l’islam politique. Ainsi l’avocate et députée d’opposition Samia Abbou déclare que « la consultation du chef du gouvernement et du président du Parlement en vue de l’application de l’article 80 n’est pas déterminante », et qu’à ce titre il est « acceptable » d’outrepasser ce paragraphe du texte.

Pourtant, l’article en question stipule qu’il ne s’applique qu’en cas de « péril imminent menaçant les institutions de la nation, la sécurité et l’indépendance du pays, et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics », l’esprit de l’article referrant davantage à des scénarios de guerre, d’invasion étrangère ou de catastrophe naturelle.

Autre latitude prise par Carthage avec cette base constitutionnelle, les dispositions de l’article 80 ne prévoient en aucun cas la possibilité d’un limogeage du chef du gouvernement, et encore moins un gel du Parlement censé demeurer au contraire en session permanente dans ce cas jusqu’à la sortie de crise.

Saïed, lui-même enseignant de droit constitutionnel, sait donc pertinemment qu’il fait le forcing et sort en l’occurrence allègrement du cadre de la Constitution. D’autant qu’il s’empare au passage du pouvoir judiciaire et que l’évaluation de la corruption des uns et des autres est laissée à sa propre discrétion. La création de la Cour constitutionnelle a par ailleurs été bloquée cette année par ses soins, après avoir été longtemps remise à plus tard par les parlementaires.

 

Réactions à l’international

Au moment où l’on attend encore les réactions officielles des chancelleries occidentales visiblement encore dans l’expectative, c’est la Libye qui a ouvert le bal des déclarations à l’international, du moins via le président de son Haut Conseil d’État (la chambre haute du Parlement libyen) Khaled al-Michri.

Ce dernier a ainsi publié sur sa page officielle sa réaction comparant les évènements survenus à le 25 juillet à Tunis au putsch de 2014 du général Haftar, tout en affirmant : « Nous refusons tout coup d’Etat aux dépens des corps élus, et tout sabotage des processus démocratiques ».