En Tunisie, la présidence veut un nouvel impôt sur la fortune
Le président de la République Kais Saïed a proposé le 1er juin l’introduction de taxes supplémentaires ciblant les plus riches en guise d’alternative permettant à l’État de se passer d’un prêt du Fonds monétaire international (FMI) dont il dit rejeter les « diktats ».
En recevant hier jeudi la cheffe du gouvernement Najla Bouden, le président Kais Saïed a ainsi expliqué que le système de subventions aux produits de base en vigueur en Tunisie depuis plusieurs décennies bénéficiait actuellement à tous les Tunisiens, y compris les plus aisés, selon un post de la présidence.
Pour pallier une situation qu’il estime donc inique, Saïed considère comme judicieuse l’idée de « prendre l’excédent d’argent des riches pour le donner aux pauvres » en reprenant une citation attribuée à l’un des premiers califes de l’islam, Omar Ibn Al-Khattab. Une énorme balance trônant sur son bureau, le chef de l’Etat aime en effet à se réclamer de celui que l’on appelle al-Farouk, l’une des figures incarnant historiquement l’idée d’équité et de sagesse.
« Au lieu de lever les subventions au nom de la rationalisation, il serait possible d’introduire des taxes supplémentaires à ceux qui en bénéficient sans qu’ils en aient le besoin », a-t-il argué, avançant qu’un tel mécanisme permettrait à l’État de ne pas se soumettre aux « diktats étrangers ». Plus de socialisme en somme, précisément une recette aux antipodes des préconisations du FMI.
« Il semble que notre président compte décliner les 100 milliards de dollars d’un généreux donateur, préférant s’en remettre à Omar Ibn Al-Khattab », ont aussitôt ironisé des internautes à la fois à propos de l’archaïsme de la présidence mais aussi du fait que le Palais aurait envoyé un motard s’enquérir d’une rumeur farfelue lancée par une radio privée à Sousse, selon laquelle des Tunisiens résidents à l’étranger avait obtenu la garantie d’un tel prêt auprès d’une institution financière.
Un modèle économique confus
Le 6 avril dernier, Saïed avait déjà rejeté ce qu’il avait qualifié des « diktats » du FMI, le Fonds conditionnant l’octroi d’un prêt à la Tunisie à des réformes économiques structurelles ainsi qu’à la levée de certaines subventions étatiques relatives à la caisse de compensation (denrées alimentaires, carburant, etc.). Toutefois le président n’a pas précisé dans ses déclarations de jeudi comment d’éventuelles nouvelles taxes pourraient être introduites dans un pays où les impôts des salariés sont prélevés à la source mais où une grande partie de Tunisiens exerçant des professions libérales dans le privé ne déclarent pas leurs revenus à l’administration fiscale.
Endettée à hauteur d’environ 80% de son PIB, la Tunisie avait pour rappel obtenu un accord de principe du FMI à la mi-octobre pour un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars, sur 4 tranches, pour l’aider à surmonter la grave crise financière qu’elle traverse. Sauf que les discussions sont à nouveau dans l’impasse, faute d’engagement ferme du pays à mettre en œuvre un programme de réformes pour restructurer les plus de 100 entreprises publiques tunisiennes lourdement endettées et lever les subventions sur certains produits de base.
Or, « peut-on vilipender ses bailleurs de fonds tout en continuant à leur quémander des aides ? », s’interrogent nombre d’économistes en Tunisie qui fustigent les solutions présidentielles et préconisent de meilleurs moyens d’orienter les subventions vers les plus démunis.
Aujourd’hui la crise économique et financière se traduit notamment par des pénuries chroniques de produits alimentaires de base sur fond de vives tensions politiques, puisque les pays du G7 ont encore récemment conditionné l’octroi de nouvelles aides au pays au « rétablissement des libertés et du fonctionnement démocratique » des institutions du pays. Le 31 mai, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a affirmé dans une interview que la réunion qu’il a eue avec son homologue française n’a pas abordé la question des droits et des libertés, ce qui constitue un démenti du contenu d’un communiqué du Quai d’Orsay au sujet de la même réunion.