En Tunisie, la cohabitation politique bat son plein
Entre le président de la République Kais Saïed et le chef du gouvernement Hichem Mechichi, la guerre est déclarée. Désormais les hostilités sont ouvertes sur la place publique, au vu et au su de tous. La cohabitation s’annonce longue, très longue…
On se demandait quand est-ce que le numéro 1 de l’exécutif allait réagir à la scène humiliante où il s’était vu gronder tel un élève au Palais de Carthage. C’est chose faite : il vient de délimiter son territoire, non sans un ton autoritaire. Dans une brève séquence filmée publiée mercredi 30 septembre sur la page officielle de la présidence du gouvernement, Hichem Mechichi a ainsi lu un document où il recadre ses ministres et les rappelle à l’ordre.
Il y demande en effet expressément que chaque ministre doit consulter au préalable la présidence du gouvernement avant de répondre aux convocations du président de la République. « Un compte-rendu de ces réunions est aussi requis », renchérit-il.
« J’invite les membres du gouvernement à interagir positivement et rapidement avec la présidence de la République conformément à l’impératif constitutionnel du respect des institutions de l’Etat, mais à condition qu’il y ait préalablement consultation et coordination avec la présidence du gouvernement, de sorte que soit harmonisées nos décisions avec les politiques générales de l’Etat », a-t-il adroitement avancé non sans une certaine exemplarité, pour répondre à ce que certains ont qualifié de « goujaterie de Carthage ».
S’agissant des correspondances écrites entre la présidence de la République et les départements ministériels, elles devront par ailleurs « obligatoirement transiter par la Kasbah », a exigé dans son allocution Mechichi, lors de ce conseil ministériel aux allures solennelles où il siffle la fin de la récréation.
Hausse des salaires des hauts fonctionnaires, Mechichi persiste et signe
Evoquant un autre point de contentieux où il répondait du tac au tac au président de la République qui avait publiquement critiqué les récentes augmentations des salaires des gouverneurs, le chef du gouvernement a enfin justifié sa décision.
« Les motivations de ces attributions ne sont pas toujours d’ordre financier. Mais contrairement à ce qu’ont pu comprendre certains de façon superficielle, cette hausse des salaires fut précédée par un retrait de certains avantages en nature des gouverneurs, ce qui a pour conséquence un ajustement du coût pour l’Etat dont le budget revient à l’équilibre sur ce point. Il s’agissait pour nous d’encourager les compétences nationales à servir l’Etat en région, tout en leur garantissant le statut qui est le leur ».
Une façon de tacler de manière républicaine le message, par contraste populiste, de la présidence de la République qui avait sermonné Mechichi à ce propos.
Quelle que soit l’issue de ce bras de fer qui s’annonce aussi long qu’éprouvant pour les deux pôles de l’exécutif, la Constitution donne sans équivoque raison au chef du gouvernement, qui n’a pas à rendre compte de sa politique au président de la République, en dehors des deux portefeuilles de la défense et des affaires étrangères.
Mais le concours de circonstances ayant conduit Mechichi au pouvoir a résulté en des loyautés complexes d’un certain nombre de ministres, dont ceux de l’Intérieur, de la Culture et des Domaines de l’Etat, officieusement et indûment investis de leurs fonctions en vertu de leur proximité personnelle et politique avec le président de la République.
A défaut de bon timing pour procéder à un vaste remaniement, la tâche de Hichem Mechichi s’annonce ardue, lui qui doit s’atteler à un gigantesque chantier de relance économique dans ce contexte politique particulièrement délétère.