En Tunisie, des opposants réclament la loi martiale

 En Tunisie, des opposants réclament la loi martiale

Samia Abbou

Adressée au président de la République Kais Saïed, la persistante requête de déploiement de l’armée formulée par la députée Samia Abbou, au nom de la lutte contre la corruption, surprend jusque dans les rangs du parti aujourd’hui dans l’opposition (22 sièges) de cette militante historique.

Cela fait maintenant bientôt une semaine que le président Saïed est aux abonnés absents, sans la moindre activité documentée par la page officielle du Palais de Carthage. Etrange mutisme, en pleine aggravation de la crise sanitaire et la veille d’un déplacement crucial d’une délégation gouvernementale à Washington pour négocier un nouveau prêt avec le FMI.

 

Le coming-out pro matraque

Certains pensent qu’il s’agit là du calme avant la tempête. Mais la personnalité introvertie et encore entourée d’une part de mystère de Kais Saïed laisse peu de place aux certitudes. Si les Tunisiens commencent en effet à peine à comprendre de quoi est fait le logiciel présidentiel, mélange de panarabisme éculé et de piété islamique ostentatoire, ils découvrent en revanche le putschisme et les propensions militaristes de certaines personnalités politiques pourtant auréolées d’un honorable parcours anti régime bénaliste. Qui l’eût cru ?

Ce n’est pas la première fois que des représentants de ce centre-gauche pourtant jadis droit-de-l’hommiste incitent le président à la mise en place anticonstitutionnelle d’une loi martiale. Il y a quelques mois, Mohamed Abbou en avait fait autant.

Des interpellations insistantes qui expliquent probablement que fort de cet appui d’une partie même minoritaire du Parlement, le président Kais Saïed s’est récemment autorisé à s’auto proclamer chef suprême de toutes les forces armées, au mépris de l’esprit du régime parlementaire mixte en vigueur en Tunisie.

 

Une dangereuse dérive liberticide

L’élue Attayar Samia Abbou était ainsi l’invité du journaliste Mohamed Yousfi sur les ondes de Diwan FM hier 26 avril. Appelant de ses vœux l’avènement d’une seconde guerre contre la corruption, après celle menée en 2017 par Youssef Chahed, elle a solennellement invité le président de la République à « passer à l’acte ».

Pour Abbou, nul besoin d’aller à l’article 80 de la Constitution qui nécessite un péril imminent : « le président devrait simplement recourir la loi sur l’état d’urgence pour demander à l’armée de quadriller l’ensemble du territoire tunisien, car autrement le pays va sombrer sous nos yeux », justifie-t-elle.

Recadrée par le chroniqueur de l’émission qui lui fait remarquer que ses propos sont effrayants et que la place des militaires est plutôt dans les casernes, Samia Abbou rétorque l’armée tunisienne est connue pour son pacifisme : « Ils interviendraient en l’occurrence sur ordre d’un civil et non sur ordre d’un militaire, c’est là toute la différence », tente-t-elle d’argumenter, sans convaincre son vis-à-vis.

L’élue conclue que « face aux mafias qui sévissent au Parlement et dans le monde des affaires, le président ne doit pas hésiter à procéder à des arrestations sur la base des rapports du renseignement dont il dispose ».

Quelle que soit la main invisible que cette frange de la classe politique tente de combattre par les bons vieux moyens du fascisme, autant dire qu’elle a d’ores et déjà gagné, en décrédibilisant les nouveaux apôtres de l’ordre moral qui en viennent à souhaiter le paysage d’un Tunis quadrillé par les tanks, sous le coup d’une loi martiale. Triste aspiration qui viendrait annihiler ce qui reste de 10 années de révolution.