En quête d’un patrimoine méconnu à Majorque

 En quête d’un patrimoine méconnu à Majorque

Le palais royal d’Almudaina fut d’abord un alcazar bâti au Xe siècle sous le règne du califat des Almohades de Cordoue, à l’emplacement d’une ancienne construction romaine. Jean Brooks / Robert Harding Premium / AFP

L’Andalousie est loin d’être la seule région où le passé mauresque de la péninsule ibérique est palpable. A Madrid comme à Majorque, la domination omeyyade a laissé des traces bien vivaces. Cap sur Madina Mayurqa, le nom que portait alors Palma, la capitale des îles Baléares.

Dossier. Sur les traces arabo-musulmanes en Europe

Le palais royal d’Almudaina fut d’abord un alcazar bâti au Xe siècle sous le règne du califat des Almohades de Cordoue, à l’emplacement d’une ancienne construction romaine.

Erigée sur une falaise, à l’endroit précis où, jusqu’en 1386, se trouvait une mosquée, la cathédrale Santa Maria domine Palma. C’est son imposante silhouette que l’on voit en premier. Depuis le front de mer ou juché sur les toits du quartier historique. Lorsqu’on est sur la terrasse de l’hôtel Puro, un autre édifice, tout aussi emblématique, lui tient tête. C’est le palais Almudaina, avec ses tours carrées et ses palmiers qui tutoient le ciel. Une carte postale à portée de main. Il suffit de redescendre les escaliers de cet hôtel aménagé dans une demeure aristocratique du XVIIIe siècle et de prendre la Carrer de la Mà del Moro pour se rendre compte que les traces du passé mauresque de Palma sont disséminées un peu partout et jusque dans le nom de ses venelles.

« Si l’on en croit la légende, en 1731, un esclave maure, Ahmed, séduisit une jeune servante chrétienne. Il lui promit de se convertir et de l’épouser si elle acceptait de s’enfuir avec lui. Avant la fugue, Ahmed allait dérober la fortune que cachait leur maître, le prêtre Don Martin Mascort et tuer ce dernier ! Pris en flagrant délit, il sera exécuté et sa main, accrochée au portail de la maison où s’est déroulé le crime… », raconte Tomas Valles, un guide local, convaincu que d’autres histoires d’amour mixtes, plus heureuses, sont à l’origine de la population métissée du bassin méditerranéen.

En quête d’un patrimoine méconnu à Majorque
Ces bains publics du Xe siècle figurent parmi les vestiges les plus impressionnants de l’époque arabe. On y arrive après avoir suivi un dédale de rues qui rappellent les médinas des villes d’Afrique du Nord. Manuel Cohen / Manuel Cohen via AFP

Près de 14 mosquées avant la Reconquista

Remisons cette sordide légende du passé. Nous voilà déjà dans les allées ombragées de S’Hort del Rei. Jadis potager du roi, c’est à présent un jardin andalou avec fontaines et jets d’eau. Il s’étend au pied de la muraille qui encerclait autrefois Palma, en contrebas de la façade ouest de l’Almudaina, celle qui reflète le plus le passé arabe de l’édifice. En gravissant les marches qui mènent vers ce majestueux palais royal avec vue imprenable sur la Méditerranée, nous remontons aussi les siècles… jusqu’en 903.

Issam Al-Khawlani vient de réussir la conquête de Palma, ville romaine alors en ruine, qu’il transforme en Madina Mayurqa, une cité splendide où est construit l’alcazar dont on peut encore admirer certains vestiges : le plafond à caisson en bois et le hammam qui datent de cette époque. A la Reconquista, la plupart des attributs maures seront détruits ou remplacés par des éléments gothiques.

« Quand les chrétiens ont repris possession de l’île, Palma comptait 14 mosquées. Aujourd’hui, on dénombre autant d’églises paroissiales … », souligne notre guide. Nous sommes justement devant l’une d’entre elles, devenue le couvent de Santa Clara où sont cloîtrées des nones qui vivent de la vente de douceurs, parmi lesquelles de délicieux petits gâteaux à la fleur d’oranger. On passe commande via une fenêtre-tambour qui permet de payer et de récupérer les gourmandises sans le moindre contact visuel.

Du passé musulman de ce lieu, ne subsiste plus que le minaret, devenu clocher. Au coin de la rue qui y mène, un panneau indique la direction des baños arabes. L’ancien hammam public n’est qu’à quelques encablures, Carrer de Can Serra. L’établissement, tout comme le luxuriant jardin attenant, a glorieusement traversé les siècles. Impossible de ne pas s’extasier devant la salle principale et ses 12 colonnes, ses arcs en fer à cheval et sa coupole en briques.

Un héritage riche et multiple

Le centre historique de Palma n’est pas l’unique quartier où les musulmans ont laissé leur empreinte. A l’emplacement où se trouvait le port au Moyen Age, à l’ouest de la ville, se dressent encore deux tours de guets. « Elles datent de l’époque romaine mais ont été reconstruites par les Almohades. L’une d’elle, Porto Pi, a été transformée en phare et c’est l’un des plus vieux au monde encore actif aujourd’hui », précise notre guide.

L’héritage maure ne se limite pas à ce patrimoine matériel. « Il est perceptible dans la mélodie des boléros, les pantalons larges que portaient les Majorquins jusqu’au XIXe siècle, les mots que l’on emploie », énumère Tomas Valles alors que l’on s’apprête à déguster un couscous dans un petit resto populaire, non loin de la Rambla.

Parfois, le locuteur n’est pas conscient de l’origine arabe du terme qu’il vient de prononcer. Rambla vient da « ramla » (sable en arabe). « Ojala », expression courante ici, signifiant « avec un peu de chance », est une contraction de « inchallah » (si Dieu le veut). Le nom de nombreux villages commence par le préfixe Beni (fils de) comme Benissalem pour ne citer que celui-là. Sans parler de tous les fruits, légumes et herbes aromatiques que les Omeyyades ont introduits dans l’Andalus, comme l’abricot, l’artichaut, le safran, l’aubergine ou le basilic dont les désignations espagnoles sont quasi des copies de leurs dénominations arabes. Si ces espèces nouvelles ont été implantées avec succès, c’est grâce au précieux savoir-faire en matière de gestion de l’eau.

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C’est en se tenant devant ce bassin couvert que l’on découvre une vue époustouflante : le luxuriant jardin Alfabia avec en toile de fond la sierra de Tramuntana, le principal massif montagneux de l’île de Majorque. Crédit photo : Office espagnol du tourisme.

Pour avoir une idée de l’ingéniosité du système d’irrigation mis en place, il faut absolument visiter le jardin d’Alfabia. A moins de 20 kilomètres de la capitale, cette oasis verdoyante s’étend au pied de la Serra de Tramuntana. Avant la Reconquista, cette propriété appartenait au puissant wali (fonctionnaire) Bennabet.

Il aurait aidé les troupes chrétiennes et, en échange, aurait pu rester en cette somptueuse demeure. « C’est un bien qui n’a jamais été vendu et qui a toujours été transmis par testament d’un siècle à l’autre et nous nous efforçons de maintenir son aspect d’origine », affirme Cristina Zaforteza, gérante de ce lieu dont sa famille a hérité. A peine le portail franchi, on admire un sublime plafond lambrissé en bois de pin et de chêne incrusté de marbre. « On le doit à des artisans almohades qui l’ont façonné en 1170. » Sur les murs, des frises comportant des inscriptions en arabe rendent grâce à Dieu.

Une merveille derrière une petite porte …

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L’ensaimada, cette brioche emblématique de Majorque, aurait été introduite par les Arabes autour de 909. Son appellation initiale était “bulema” et ne contenait évidemment pas le saindoux (“saim”) dont elle tire son nom actuel. JAIME REINA / AFP

Quant au jardin, c’est un éden où poussent toutes sortes d’arbres : palmiers, orangers, citronniers, bougainvilliers, figuiers, grenadiers, rosiers. Le tout est jalonné de bassins, étangs, fontaines et jets d’eau.

« L’ingénieux système hydraulique datant de l’époque arabe est toujours opérationnel. Des réservoirs et des canaux souterrains permettent de collecter et distribuer l’eau qui provient de la Serra d’Alfabia et d’irriguer les plantations du jardin », commente la maîtresse de ce lieu luxuriant.

Passionnée par le passé et l’histoire de l’île, Cristina Zaforteza a à cœur de faire découvrir la richesse de cet héritage. Elle fait partie de ceux qui ont conscience que le patrimoine mauresque de Majorque recèle encore des trésors inexplorés. « Savez-vous qu’au cœur du quartier historique de Palma, à proximité du palais Almudaina, derrière une porte close se cache l’ancienne citerne installée à l’époque des Almohades ? Certes, le monument n’est pas encore prêt à recevoir le public mais aucun panneau ne signale l’existence de cet endroit, aussi magique que les citernes d’Istanbul. C’est dingue de se dire que chaque jour des milliers de personnes passent devant cette petite porte sans avoir une idée de la merveille qui se cache derrière », déplore-t-elle en nous montrant une vidéo de l’Aljibe d’Almudaina.

Madina Mallurca est visiblement loin d’avoir livré tous ses secrets et un parcours valorisant ce passé mauresque reste à promouvoir… Ojala !