En Libye, une trêve fragile sur fond d’appétits financiers et pétroliers

 En Libye, une trêve fragile sur fond d’appétits financiers et pétroliers

Les deux organes législatifs coexistants en Libye ont enfin trouvé un accord pour nommer de façon conjointe un nouveau gouverneur de la banque centrale et mettre ainsi fin à la lutte de pouvoir pour le contrôle des revenus pétroliers du pays. Une crise qui a fortement réduit la production et les exportations de brut, selon la Mission de soutien des Nations unies en Libye.

C’est la « UN Support Mission in Libya » (UNSMIL) qui a en effet donné l’information de cet accord aujourd’hui jeudi 5 septembre. La Banque centrale de Libye, dont le siège se trouve dans la capitale Tripoli, fonctionnait jusqu’ici indépendamment des deux gouvernements. Elle était à ce titre l’unique dépositaire légal des recettes pétrolières libyennes.

Mais c’est également un gros employeur du secteur publique, l’institution paie également les salaires de l’État dans tout le pays et offre des incitations financières à des millions de Libyens, d’où son importance stratégique pour conserver un semblant de stabilité dans le pays sujet récemment à une résurgence des affrontements fratricides entre diverses factions rivales. Or, depuis quelques semaines, d’énormes files d’attente de véhicules se forment devant les stations-service, un comble pour un pays où l’abondance en production pétrolifère a pu maintenir les prix du carburant au plus bas.

 

Accusations dirigées contre la Tunisie

Lors d’une conférence de presse le 2 septembre, le ministre libyen de l’Intérieur, Imad Trabelsi, s’est livré à des révélations considérées comme controversées, côté tunisien, au sujet les opérations de contrebande de carburant. L’homme affirme qu’avant la fermeture du poste frontalier de Ras Jdir en mars 2024, environ 2 millions de litres de carburant étaient quotidiennement acheminés clandestinement de Libye vers la Tunisie (l’équivalent d’une valeur d’environ 600 millions de dollars par an).

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شاهد | وزير الداخلية بحكومة طرابلس عماد الطرابلسي: إقفال معبر رأس اجدير المدة الماضية وفر على الدولة الليبية 2 مليون لتر يوميا كان يهرب، وللأسف بدأنا نخسر هذه الكمية الآن بسبب عودة التهريب

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Or, « la fermeture de Ras Jdir durant près de 90 jours aurait non seulement stoppé ce flux systématique vers la Tunisie, mais a également indirectement affecté le comportement des trafiquants de carburant », selon la même source.

D’après le ministre de l’Intérieur, les opérateurs opérant entre Tripoli et Ras Jdir ont alors été contraints de s’adapter aux circonstances de la nouvelle donne sécuritaire. Ils auraient cependant trouvé des méthodes alternatives pour acheminer des quantités similaires de carburant par jour, en redirigeant leurs opérations vers le sud de la Libye et en utilisant les routes maritimes vers le nord. Même si l’exactitude de ces affirmations reste à vérifier, l’idée générale selon laquelle les passeurs auraient adapté leurs opérations en réponse à la fermeture de 90 jours semble très plausible selon plusieurs analystes.

Quoi qu’il en soit, préférant se focaliser sur un changement de leadership, la Chambre des représentants, basée quant à elle dans la ville orientale de Benghazi, et le Haut Conseil d’État à Tripoli, dans l’ouest du pays, ont signé une déclaration commune après deux jours de discussions organisées par l’UNSMIL, a indiqué la mission. Cette dernière précise qu’ils nommeront un gouverneur de banque centrale et un conseil d’administration dans les 30 prochains jours. Néanmoins, les deux factions ont accepté de prolonger les consultations jusqu’à la fin du lundi 9 septembre : « Suite aux consultations organisées par l’UNSMIL à son siège à Tripoli, les représentants de la Chambre des représentants et du Haut Conseil d’État sont parvenus à des accords importants sur la crise de la Banque centrale de Libye, en particulier sur le mécanisme et le calendrier de nomination du gouverneur et du conseil d’administration de la CBL », s’est félicité l’UNSMIL dans un communiqué.

De quoi apaiser les tensions ? Rien n’est moins sûr. Pour le chercheur allemand Wolfram Lacher du German Institute for International and Security Affairs, la récente recrudescence de la violence fait le jeu de la famille du maréchal Haftar qui y voit l’ouverture pour elle de la manne pétrolière, ce qui a aiguisé ses appétits et ne la motive pas à davantage de retenue.

Seif Soudani