En Libye, la fin d’une époque ?
Le parlement libyen met fin au mandat du gouvernement Dbeibe. Il reconnaît désormais l’exécutif d’Oussama Hammad comme le seul gouvernement « légitime » du pays jusqu’à l’élection d’un nouveau cabinet « unifié ». Une apparente stabilisation qui demeure imprévisible et impacte négativement les échanges commerciaux avec la Tunisie voisine.
Le Parlement libyen a annoncé unilatéralement (pour la deuxième fois en 3 ans) la fin du mandat du Gouvernement intérimaire d’union nationale (GUN), une décision qui pourrait aggraver les luttes de pouvoir en Libye. Vu de Tunisie, l’évènement est anxiogène : le passage frontalier de Ras Jedir a en effet été fermé du côté libyen, pour la énième fois cet été, un point névralgique pour l’économie tunisienne formelle et informelle.
Situé à l’est dans la ville de Benghazi, le Parlement a ainsi voté à l’unanimité la fin du mandat du GNU, dirigé par Abdul Hamid Dbeibe, déclarant son rival, le gouvernement de stabilité nationale, dirigé par Osama Hammad, comme le seul gouvernement « légitime » du pays jusqu’à ce qu’un nouveau cabinet « unifié » soit élu. Pas de réaction immédiate côté tunisien, sachant que le turbulent Dbeibe est à l’origine de plusieurs déclarations hostiles au pouvoir tunisien durant son mandat, ce qui avait causé dans un passé récent de nombreuses crises suivies de réconciliations peu convaincantes.
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Nouveau commandement militaire
Mais le président du parlement, Abdullah Bleihaq, a cette fois ajouté que la chambre avait également voté à l’unanimité la nomination du président Aguilah Saleh en tant que haut commandant de l’armée, conformément à la déclaration constitutionnelle.
Depuis mars 2022, il y a pour rappel deux gouvernements en Libye. Or, seul le gouvernement d’union nationale, basé à Tripoli, est reconnu internationalement. Depuis la capitale libyenne, l’exécutif dirigé par Dbeibe n’administre en réalité que toute la partie occidentale du pays. Le second exécutif, dirigé par Hammad, a été nommé par le Parlement et est basé à Benghazi, d’où il contrôle tout l’est de la Libye et les villes du sud.
Dès début 2022, le Parlement de Benghazi a exprimé sa méfiance à l’égard du gouvernement dirigé par Dbeibe à Tripoli, raison pour laquelle il a nommé l’autre gouvernement, qui n’a pas encore pu assumer ses fonctions dans la capitale libyenne en raison du refus de Dbeibe de céder le pouvoir jusqu’aux élections présidentielles et législatives, reportées à partir de décembre 2021.
Saleh a expliqué que le mandat d’un gouvernement ne devait pas durer plus d’un an et qu’il pouvait être prolongé d’un an, ce qui signifie par conséquent que le GNU a perdu sa légitimité il y a plus de cinq ans. Saleh a donc appelé à travailler à la formation d’une autorité unifiée qui luttera pour l’intégrité territoriale, parviendra à une répartition équitable des richesses et à l’égalité des droits entre les régions, et mettra fin à la crise qui frappe le pays depuis des décennies.
« Le parlement cherche à former une autorité unifiée capable de gouverner et de réaliser la justice« , a néanmoins rassuré Saleh, notant que la capitale, Tripoli, est tombée sous le contrôle de gangs armés.
S’agissant des consultations relatives à l’unification du pouvoir, une réunion tripartite entre les chefs de la Chambre des représentants, du Conseil suprême de l’État et du Conseil présidentiel s’est tenue au Caire avec l’aide de la Ligue arabe. A cet égard, Saleh a annoncé un accord pour « former un gouvernement unifié » et la tenue d’une autre réunion dans le but d’élaborer un mécanisme pour le sélectionner.
Le vote du Parlement intervient après l’échec de la tentative du Conseil d’État de renouveler sa présidence, ainsi que les rumeurs selon lesquelles le président du Conseil présidentiel aurait l’intention de renverser le gouverneur de la Banque centrale libyenne, Al-Siddiq Al-Kabir, ce qui entraverait l’accès de la Libye aux marchés financiers internationaux.
Soutien de Haftar
Prévisible, Dbeibe n’a une fois de plus pas reconnu la décision du parlement de mettre fin au mandat de son gouvernement, considérant le gouvernement d’Oussama Hammad comme une « autorité parallèle qui ne jouit pas de la reconnaissance internationale ». Depuis Tripoli, le GNU a déjà annoncé son rejet des récents résultats de la Chambre des représentants, réitérant son intention de rester au pouvoir jusqu’à la tenue d’élections présidentielles et législatives.
« Les décisions de la Chambre des représentants, qui ne changent en rien la réalité, sont des déclarations et des positions émises par un parti politique qui se bat pour prolonger ses années au pouvoir, et non par une autorité législative représentant l’ensemble de la nation libyenne », a ajouté le GNU dans un communiqué.
Pour sa part, le commandant de l’armée nationale libyenne, le maréchal Khalifa Haftar, acteur clé de la scène politique libyenne, a salué la décision du Parlement, tandis que le gouvernement de Hammad a appelé toutes les autorités à la mettre en œuvre, demandant également aux pays et aux organisations de la soutenir et de diriger leurs ambassades vers Benghazi plutôt que vers Tripoli.
Complexe, cette situation accentue les divisions en Libye et fait craindre une nouvelle escalade de la violence dans le pays, qui aggraverait la crise politique. Entre-temps, les Libyens attendent les élections présidentielles et parlementaires tant attendues, tandis que beaucoup d’entre eux préfèrent rester en Tunisie, traditionnel pays de refuge pour les plus aisés d’entre eux, en attendant d’y voir plus clair.